je veux choisir de ne pas voir

 

J’ai ouvert une fenêtre et me voilà projeté devant un flot.

Se déversant à ma vue, de l’intimité « filtrée », m’a-t-on expliqué.

Je n’ose imaginer ce que serait la version non filtrée, troublée troublante, « naturelle et 100% bio (graphique et logique) ».

Toujours est-il que se sont déversés en moi, à l’insu de mon plein gré, images et mots, certes, anodins

– et c’est cette banalité qui rend la chose encore plus malsaine… Car il y aurait de l’extraordinaire ou du pornographique, la mise à distance pourrait être plus facile…-

mais au combien bourrés de désirs en tout genre…

Désir d’être aimé(e)s, désir de plaire, de se montrer, de se valoriser, de montrer combien « on » est heureux de vivre sur cette terre où tout est si magnifique et magique…

Bref, le Narcisse sans fard, sans artifice, seulement carapaté derrière un écran physique et virtuel, confié à des algorithmes puissants qui tissent les liens… à travers les liens des autres… Sociogramme basique, mais terriblement efficace car banalisé dans ce monde moderne où les algorithmes auto-générants gèrent une grande partie de notre vie.

En étant soumis à ce flot incessant, un tsunami de projections, je ne peux m’empêcher d’y participer un minimum, la Chose venant me chercher dans, bien évidemment, mon désir de voyeur.

Puis, me rendant compte à quel point la Chose me « grille » de mille feux, baisser pavillon et fermer la vanne du gaz moutarde qui me monte au nez… pour m’enfuir des flammes…

 

En psychanalyse, l’une des règles fondamentales est de tout dire.

Or, la pratique démontre que le tout dire est impossible, que le droit au secret évoqué par Piera Aulagnier est essentiel au bon fonctionnement psychique. Si nous ne pouvions plus mentir, si nous ne pouvions plus (nous) cacher, que deviendrait l’imaginaire ?

Les enfants, parce qu’ils se rendent compte que les parents peuvent mentir, peuvent à leur tour développer leur monde intérieur, exister par eux-mêmes et s’autoriser à rêver. Ce que je pense dans mon corps n’appartient qu’à moi-même…

 

Quand je regarde les femmes qui marchent, se promènent, s’affairent, heureusement qu’elles sont cachées derrière leurs habits, que l’on devine les formes, que parfois, une longue jupe fendue sur le côté qui dévoile le haut des bas est bien plus sensuel qu’un film pornographique où on nous montre tout en détail toutes les aspérités (plus ou moins appétissantes et plus ou moins jolies) de femmes plus ou moins jeunes réduites à leur statut d’objet exhibé.

C’est son caractère caché qui rend la Chose plus sensuelle et suscite l’excitation.

 

Je me refuse à ce que « On » me montre ce que je n’ai pas eu envie de voir.

Je veux avoir le choix. J’ai coupé le flux.