Pourquoi écrire ? contre l’angoisse, cette plaie !

C’est vrai. Cette question me taraude.
Peut-être parce que creuser, percer, visser avec un pas de vis ma pratique professionnelle n’est pas ma tasse de thé.
En revanche, en terme de tourments, c’est plutôt l’inverse. Ne pas écrire ne me tourmente plus.

Avant, – c’était toujours mieux avant, pour les nostalgiques des pensées -rhétorico-théorico-pratiques pures et sanctifiées -, j’écrivais parce qu’écrire était un exutoire. Une forme de saillie psychique, ce trop plein que je dégueulais pour me libérer d’une charge trop lourde.
Maintenant, ce « trop plein » ne m’envahit plus. La bouteille s’est agrandie. J’ai souvent répété que la bouteille s’acquière en recevant des baffes, c’est malheureusement dans la souffrance et l’effort que les choses ad/viennent… L’analogie avec le sport reste vivace. Plus l’entrainement est efficace, plus les performances s’améliorent…
Toutefois, est-ce que le psy cherche à améliorer sa « performance » ? A performer ? C’est vraiment pas ma tasse de thé.
Performer voudrait – hasard ou non mon correcteur orthographique de ma machine vient de m’annoncer préformer ; ce qui est assez juste ma foi – m’imposer au mieux une amélioration constante au pire une mascarade faussement artistique.
Je ne suis pas assez obsessionnel pour opter pour la première solution, loin de moi cette idée industrieuse du Kaizen japonais ! Et je ne suis pas non plus assez hystérique pour opter pour une théâtralisation sacralisation de ce qui n’est, qu’au fond, mon travail. Ma part psychotisante m’attirerait vers un repli ascétique monacal et misanthrope. La contemplation du monde me siérait assez… sauf que, paradoxalement, pour soigner, prendre soin, il est nécessaire d’être au milieu d’autres humains.


Pas LA mauvaise décision.

UNE mauvaise décision parmi tant d’autres, dans une banalité lassante d’une succession de choix que nous faisons dans ce monde où la gestion des risques est plus importante que la prévention des risques…
Du coup, je vois des médecins qui n’écoutent plus leurs patients, qui les auscultent de moins en moins, et qui s’appuient sur « la » science des analyses biologiques diverses et variées, des appareillages nombreux…
La maladie serait soignable… et le malade a besoin de médicaments. Or, il s’avère que le corps humain est régi par d’autres forces dont la psyché qui supporte mal les données « objectives »…
C’est bien de cette Clinique là qu’il est nécessaire de parler, de parer l’angoisse de l’autre qui doit être accueillie sans devenir sa propre angoisse… et les psys me parleront alors du travail du transfert et du travail sur le contre-transfert… comme d’autres me parleront dans une langueur jouissive de l’empathie… Je suis empathe, je suis empathe, je marche, je suis en patte… coq en pâte d’une autre époque… d’où le réel doit être pourchassé, expulsé, exfolié… folle à lier…

Il y a quelques temps, j’ai lu que l’angoisse des médecins face au malade, c’était de prendre une mauvaise décision.

C’est vrai que c’est angoissant de voir partir de son cabinet une patiente qui vient de raconter depuis plusieurs séances qu’elle aimerait peut-être prochainement abréger sa souffrance en sautant sous un train qui passerait alors l’heurter à ce moment là où elle l’aura décidé, à l’heure, sans crier gare dans une gare, souffrance écrasée, corps disséminé sur plusieurs centaines de mètres, ramassé morceau par morceau… par d’autres vivants qui devront la reconstituer petits bouts par petits bouts, passer sous le regard vif d’un thanatopracteur qui reconstituera « la » personne… enfin ce qu’il en restera.
C’est vrai.


Mais c’est aussi angoissant de voir que son enfant part pour la première fois sur le chemin de l’école, grandit, fait de nouvelles choses, prend les transports en communs seul, va loin de nous. Nous aimerions tellement « garder un oeil » sur eux, comme si, malgré la confiance que nous portons en eux, celle-ci ne suffisait pas encore…
C’est vrai. Il n’y a pas si longtemps que ça, je le prenais sur mes épaules et l’emmenai à l’école… voire même jusqu’à la classe et le « confiais » à l’enseignant qui prenait le relais…
C’est vrai que c’est angoissant. La vie est angoissante. Vivre est une prise de risques permanentes…
Mais c’est tellement vrai que l’angoisse a changé de camp. C’est notre propre angoisse qui se projette, se rue sur l’autre, l’enfermant dans notre désir de le retenir… pour son bien…


La peur nous protège en nous donnant une décharge d’adrénaline qui nous permet d’échapper à la douleur, à l’accident, à la mort. La peur est saine parce que c’est une chose courante de la vie animale où sur le qui-vive (sans jeu de mots ici), on doit survivre aux attaques des prédateurs. Il suffit de regarder le comportement des rongeurs pour se rendre compte que le monde est peuplé de prédateurs de toutes sortes prêts à vous sauter dessus pour vous dévorer.
Nous autres humains des villes ou des contrées paisibles (malgré cette violence inouïe qui s’exprime partout dans ce monde et par tous les pores), la peur animale est moins présente.
Certes, on a peur de se faire écraser par une voiture, on a peur de tomber et de se faire mal mais ces « risques » semblent être gérées par une multitudes de système de « prévention ». Il suffit pour s’en convaincre de regarder tous ces systèmes dits « intelligents » des voitures, les sièges autos pour enfants, les multiples tests que l’on fait subir en médecine, en alimentaire et… au travail !

Si tous ces systèmes étaient parfaits, nous pourrions vivre dans une paix royale où la peur aurait totalement disparu.
Il n’y aurait plus de famine, plus de tremblement de terre, plus de typhons, plus de maladies incurables et orphelines, d’handicaps… voire même la mort… On pourrait imaginer de vivre éternellement ou de devenir soi-disant immortel… comme ça… On n’aura plus peur de rien… Non ? on peut imaginer de se faire cryogéner pour renaître dans plusieurs décennies ? Siècles ? et vivre heureux dans un monde fabuleux dans lequel… bien évidemment nos repères auront disparu… et où tout sera réglé comme une horloge…
Pleins de films de science-fiction nous racontent des mondes parfaits qui en un quart de secondes s’effondrent et mince alors ! on doit devenir le héros que nous ne sommes pas pour sauver le monde de la catastrophe.

D’un côté, cette gestion des risques, conjurer la peur de l’autre, l’angoisse que la « maîtrise » soit limitée. Parce que fondamentalement nous ne sommes que des petits riens du tout de poussières d’étoiles et au final, quelles importances nous accordons nous à nous-mêmes ?
De l’autre, l’angoisse de notre propre existence, de notre propre finitude, des choses face auxquelles nous sommes souvent démunis… L’angoisse de l’angoisse aussi… angoisse d’être angoissé-e…
L’angoisse est aussi une construction psychique vis à vis de la possession, de la représentation de ce qui « normal »…
L’angoisse de manquer, l’angoisse de la panne, l’angoisse de la destruction, de la spoliation, bref, des constructions de situations souvent… matérielles…
Mais au fond, à quoi sert l’angoisse au final ?

Il n’y a que l’angoisse de la mort… qui au fond est utile… dans le sens de la préservation de l’espèce…
Angoisse que la médecine actuelle évacue en disant que c’est « psychosomatique » ; en gros, « Je ne sais pas traiter cela médicalement voire médicamenteusement »… donc allez voir un psy…


« tu ne te rends pas compte, je me sens tellement responsable de son âme, de tout ce qu’elle peut déposer là dans mon cabinet, c’est… un trésor inestimable, un secret si important… »
Les sorcières, mages noires, parlent toujours de ce « trésor inestimable de l’âme pure », bavent devant ce qu’est la vie, son « intimité »…. miam ! Dans cette perversion dégoulinante du voyeur terré derrière le paravent qui se masturbe en écoutant les frasques sonores et odorantes… de ses parents…
Ça, en revanche, ça m’angoisse vraiment… Le travestissement de l’angoisse du psy en avènement d’une mission suprême… être « dépositaire de l’âme » d’un autre ? Non merci pour moi. Je ne suis ni détraqueur, ni dracula…

Si j’ai tout de même une belle estime de moi-même, je ne me sens pas déifié, maître des cieux psychiques des patients… Parce que si tel était le cas, quelle serait la part du libre-arbitre de ces mêmes patients…
Et puis, nous-mêmes, quand nous étions patients… combien de fois avons-nous tus voire mentis à nos propres thérapeutes ? Qui va se confesser pour « tout » dire ? Cela m’amuse toujours de voir à quel point, ce qui est cette belle injonction totalisante et freudienne du « tout-dire » semble être naïvement vécue comme LA vérité de la relation thérapeutique…
La commande est de « tout-dire ». Sa mise en œuvre, c’est toute une histoire…