lettre à une amie

 

Chère amie,

 

Ta demande faite au réseau est, pour moi, étonnante…
Étonnante, car c’est une bouteille lancée à l’eau d’une toute petite bassine locale, et pourtant, cela me fait dire que c’est un appel à l’aide ou au secours.
C’est pourquoi je t’écris.
Comme je n’éprouve aucun plaisir à écrire un article scientifique et je déteste jargonner et utiliser des mots savants que seuls les sachants savent décoder, je ne ferai pas de citations savantes
Ce « courrier » fera donc office de cadre.

 

Ecrire… donc
Loin de moi l’idée qu’il est tragique que les psychologues du travail n’écrivent pas leurs pratiques.
J’ai envie de te dire, ils font ce qu’ils peuvent et je ne pense pas que ton « obligation » à écrire lancée comme une injonction à la spontanéité, va faire avancer le schmilblik. Je déteste faire culpabiliser.
Nous culpabilisons assez déjà en nous-mêmes pour que d’autres, malgré leur bienveillance, nous en rajoutent une couche.

Pour écrire une pratique il est nécessaire d’avoir déjà exercé.
Puis, avoir eu le temps de la digérer, de l’ingérer, de se la faire sienne…
Puis, prendre le temps de la formaliser pour oser se/la montrer…
La pratique aura alors pris quelques rides… et quelques mois, voire quelques années…

 

Oser écrire, c’est s’exposer, faire l’objet de critiques…
Et il faut avoir une certaine assise professionnelle et une réelle assurance de ce que je fais pour les assumer… Or, tout ce petit monde de la psycho sait à quel point la lutte des places peut être cruelle et que sous des regards hypocrites sommeillent des crocs acérés… Mieux vaut vivre caché, parler entre soi, faire des messes basses…
Les critiques peuvent être au mieux sympathiques (j’ai failli dire « bienveillantes » et je me suis refusé), souvent destructrices et défensives, arqueboutées sur les névroses des nos petites différences… Et donc, très rarement constructives.

 

Mes réalités concrètes…
Je vais commencer par ce dont personne ne parle, c’est à dire la réalité du « trouver un travail » de psychologue du travail.
Aujourd’hui, il ne suffit plus de dire comment je travaille, avec quoi et avec qui, pour rendre le travail du psychologue du travail visible.
C’est sur le « paraître/par-être » que notre pratique est jugée et rendue visible. Avec toutes les Lois sur la santé et la sécurité au travail, nos « clients » ne jugent plus un psychologue sur sa pratique mais sur sa capacité à survivre dans la durée. Parfois, l’appartenance à un réseau peut même pénaliser, selon la soi-disante « couleur » dudit réseau.

Pour ne parler que de mon cas personnel, quand ma propre entreprise peut revendiquer plus de dix ans d’existence (pas d’expériences, ni même de la qualité de ce que je réalise…), cela en impose…

Nous ne sommes plus, à mon grand regret, à l’ère du cumul des connaissances, de l’apprentissage académique et de la construction historisée, mais de l’instantanée et des messages contenus en 140 caractères.
Ce que je veux dire par là, et nous sommes tous confrontés en tant que clinicien à cette accélération/réduction du temps – frustration – où les patients souhaitent la suppression pure et simple du symptôme et non le « réaliser d’un travail »… mené sur le long cours. Où les groupes font du problem solving sur des pratiques inexistantes… Et je ne divaguerai pas sur les thérapies plus ou moins « fast » qui se développent à une vitesse tout aussi… fast… ni sur les médicaments… ces demandes si fréquentes des patients qui souhaitent avoir des médicaments qui « défoncent » et font oublier le monde… du travail…

 

Psychologies du travail ? Quelles psychologies du travail ?
Oui, la psychologie du travail est « jeune ». Mais j’ai envie de te demander : De quelle psychologie du travail parles-tu ?
De celle, très minoritaire, enseignée au Conservatoire, si fragmentée et diffractée ?
Ou parles-tu de cette nombreuses constellations des « master deux pro » des universités dont les programmes d’enseignements (psychologie sociale expérimentale, appliquée psychologie différentielle et tutti quanti) n’ont pas changé depuis de nombreuses années ? Où les programmes sont prévus pour former des diplômés de psychologie du travail et qui seront des professionnels de la GRH, qui par opportunisme des risques psychosociaux s’y engouffrent sans aucune formation « clinique » ?
Ou parles-tu d’autres, tout aussi minoritaires que ceux du Conservatoire, qui viennent des psychosociologies cliniques (Paris 13 de chez Molinier, Pinel et al., Paris 7 de chez de Gaulejac, Lyon 2 avec Gaillard & Co.) ?
Ou parles-tu des psychologues cliniciens avec « option » travail de Paris 7 ?
Toutes ces psychologies du travail n’ont absolument pas le même socle théorique, pratique et même, j’irai plus loin, la même épistémologie.
Et bien évidemment je n’ai nullement envie de rentrer dans les querelles de clochers stériles où les combats d’égo font plus glousser les étudiantes du premier rang des amphis qu’avancer nos pratiques.

Revenons à moi, qui commence, paraît-il à devenir un « vieux » psychologue du travail du Conservatoire d’avant la Scission.
Je peux déjà poser que ma pratique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle que j’avais il y a plusieurs années. Et je me souhaite, dans quinze ans, pouvoir dire la même chose. Et pourtant, quand je relis ce que j’ai écrit – oui, j’ai la chance d’avoir commencé à écrire il y a quelques années -, je me rends compte qu’il y a des constantes.
Je peux encore me reconnaître… Ouf.

 

L’éthique du vivant
Je me rends compte que j’ai toujours cherché et je chercherai toujours à protéger, à maintenir et à amplifier le Vivant. Je me bats contre le mortifère et celles et ceux qui en portent les lances, les sournois qui portent l’estocade et les traitres qui les aident.

C’est mon inébranlable constante. Je suis dans le camp de la vie.
Pour moi, la vie est un miracle, ce moment si court coincé entre la naissance où avant, on ne sait pas où nous étions et la mort, certaine qui nous attend après laquelle nous ne savons pas où nous allons. La vie est précieuse, car c’est une lutte à mort contre la mort, une conquête contre les maladies. Nos petites névroses et nos petites perversités, nos petites habitudes font que chacun d’entre nous pourrait baisser les bras.
Bien sûr, moi aussi je fatigue. Bien sûr, moi aussi j’en ai marre. Bien sûr, je deviens profondément misanthrope. Bien évidemment.
Mais je ne lâcherai/gâcherai pas la vie pour l’offrir à la mort.

Ne jamais emmener les personnes que j’accompagne dans l’impasse mais d’imaginer avec elles quelles pourraient être les issues, les portes officielles comme les portes dérobées, les chemins de traverses comme les vols en montgolfière…
S’évader, s’échapper, respirer, aller voir ailleurs, détruire les murs, les contourner, les repeindre, les gravir…
Lutter contre les thanatophores qui ornent toutes ces institutions plus ou moins anciennes avec leurs cadavres dans les placards, les fantômes dans les sous-sols et les nique-sans-tête dans les faux plafonds.

Et pour être dans ce « camp », et désolé pour mes termes guerriers, je me dois d’être moi aussi dans le vivant. Je ne veux pas « sauver » les gens à mon détriment, je ne veux pas « prendre sur moi » pour « les aider ». Non. Il est hors de question que je devienne le cordonnier le plus mal chaussé, de développer de tragiques pathologies professionnelles pour moi-même, d’avoir des manifestations psychosomatiques diverses et variées…
Je ne me sacrifie pas pour mes patients. Mes patients sont adultes. Comme moi. Enfin. A peu près.

 

Ma place dans la Cité, la Politis
Je travaille beaucoup avec des professionnels de la Fonction publique, notamment des professionnels du social et du soin, le « non-lucratif ». Je ne ferai pas de digression sur les nouvelles formes de gestion et de management… ce n’est pas mon propos ici.
La psychologie du travail est un sport de combat, merci Bourdieu, ça y est, encore mes métaphores guerrières.
Dans le sens où notre écoute, notre parole, notre analyse porte sur le travail, lieu de luttes par excellence, lutte de classes comme lutte de places, lutte de castes aussi.
Certains s’en sortent en disant qu’ils prennent le « camp du travail ». Moi cette formule me fait trop penser aux goulags et camps de concentration. « Le travail rend libre » y était-il écrit.
Si je suis convaincu, et ma pratique quotidienne le démontre, que le travail est aussi important que la sexualité dans la construction de son identité (A la banale question : que faites vous dans la vie ? La réponse commence par « Je SUIS »), le travail est aussi ce lieu de négociations, de tractations, de compromis, d’échanges et de règles.
Or, notre difficulté est indexée sur notre capacité à comprendre, à analyser et à mettre au travail avec nos patients ou nos groupes, une action « stratégique et complexe » face à leurs réalités. J’essaierai de développer plus loin comment il est un tant soit peu possible d’écouter cette complexité…
Face à cette complexité là, la seule référence à une théorie, un courant de pensée, une discipline, ne suffit plus.
Et je vais encore plus loin. Sans une lecture politique au/du travail, cette complexité ne peut appréhendée. Je précise. Il ne s’agit pas de dire que le psychologue du travail doit être politiquement engagé.
Il l’est de facto à partir du moment où il « travaille » sur le travail. Sinon, on écoute autre chose que le travail.

 

« tu travailles en individuel ? ou en collectif ? »
Je suis fatigué de ces oppositions stériles mais assumons notre histoire.
Tu as du te rendre compte assez rapidement que mes collègues consoeurs et confrères du Conservatoire sont parfois « mal à l’aise » avec l’écoute individuelle.
Les psychologues du travail du Conservatoire ont, normalement, été formés à – je ne sais plus comment le dire – des interventions ? accompagnements ? actions ? sur?/avec?/auprès de? des « collectifs ».
Au passage, cela m’amuse de souligner que ce terme noie à bon escient et avec beaucoup de facilité la notion de « groupe » héritée de la psychosociologie clinique dont la psychodynamique du travail est une branche. D’un point de vue purement épistémologique, nous pourrions ergoter longuement sur les petites différences entre un « collectif » et un « groupe », mais ce n’est pas mon propos ici.
Certes, la « formation » psychologue du travail dispensée au Conservatoire ne « forme » pas à l’écoute individuelle. Cela n’a jamais empêché personne de continuer à se former… à la psychologie clinique et pathologique, de faire une analyse, de développer d’autres approches. Mais dans « l’identité : psychologue du travail du Conservatoire », l’écoute individuelle n’existe qu’en posture d’étrangeté.
Pour moi, cette opposition « individuel / collectif » n’a plus lieu d’être car c’est aussi à partir de nos réalités que nos pratiques se construisent.
Pour ne prendre que le découpage de mon « temps de travail », dans une semaine, je peux à un moment donné accompagner un collectif, animer une séance de supervision, réaliser une analyse des pratiques et avoir une écoute individuelle à mon cabinet ou dans des institutions.
Est-ce que cela me saucissonne en plusieurs psychologues du travail schizophrènes ?
Simplement, j’utilise des références diverses et variées… qui, chez moi, deviennent de plus en plus diffuses de plusieurs sources et ressources théorico-pratiques… Chez moi, l’hétérodoxie fait partie de ma vie (mon background culturel polythéiste est un sacré avantage… oui, les polythéistes que les monothéismes persécutent si bien… tout en les intégrant souvent sous forme de saint bidule ou saint machin dans nos contrées judéo-chrétiennes…) et je ne vois pas pourquoi j’entrerai en religion…

 

Ma clinique
Du coup, ma clinique

– et je dis bien clinique au sens le plus « basique » du terme, c’est à dire, « le soigner », je parle bien jusqu’ici de « patient » et non de « sujet », « acteurs », « agents », « clients », « usagers », « collectifs » ou autres dénominations parcellaires et particulières – 

est impactée par notre propre lecture du politique, qui chez moi, rejoint l’éthique du vivant.

 

Je sais que parmi les professionnels qui « écoutent » les personnes qui souffrent au travail, il y a celles et ceux qui pensent que la souffrance doit être supprimée. Comme si, le plaisir pouvait exister sans effort et que le fait de souffrir était aussi une forme de dépassement. Je ne reviens pas ici sur les confusions épistémologiques si systématiques entre souffrance AU travail et souffrance ET travail. L’hédonisme intégral peut faire partie du fantasme généralisé d’une société qui tend à expulser les fous, les gueux et les sans-dents pour ne plus les voir. Quand on a comme ambition de « soigner » les gens qui souffrent au travail, ne voir la souffrance que comme une verrue à enlever est un non sens.

Puis, d’autres, pour qui cette souffrance-là n’est qu’une souffrance supplémentaire, voire complémentaire ?, alternative ?, substitutive ?, à toutes les autres souffrances et qu’il faut faire avec et accepter, qu’il faut retourner à l’enfance, de l’enfance de l’enfance. Et qu’il faut aller voir dans le fait d’être maltraité au travail, par exemple, la répétition d’autres scènes fantasmées ou non de maltraitances non résolues.
Arrêtons de dire des conneries, la clinique du travail est par définition une clinique DU travail et non LA clinique de l’homme ou de la femme qui est au travail…
Arrêtons aussi de parler du « transfert » à tout bout de champ sur tout et n’importe quoi, du transfert du transfert, du patient à son thérapeute, du patient à son chef, du patient à son institution, du patient à son bureau, du patient à son ordinateur, du patient à son parafeur, du patient à son dossier, du patient à son fauteuil… J’ai vraiment l’impression de vivre dans un aéroport.
Là, nous ne sommes plus au travail. Mais ailleurs. Dans un autre cadre thérapeutique. Il faut simplement dire que le travail n’est qu’une « entrée », et disons le clairement : un « filon » pour avoir de nouveaux patients.

Et il y a d’autres qui pensent que cette saloperie doit être combattue a son cœur, à savoir au travail dans le travail et j’oserai dire du (point de vue du) travail.
Parce que le travail « sert » à quelque chose… On l’oublie souvent, n’est-ce pas ? Qu’il ne sert pas qu’à gagner sa survie. Mais aussi, il sert à faire exister notre vie.
Ma clinique, elle est là. Au travail, dans le travail, du travail, inscrit dans l’entreprise, l’institution.

 

La patiente souffre au travail, parce que son chef ne lui donne pas assez de travail et la maltraite en lui disant qu’elle ne travaille pas… Parfois, elle a même un avertissement. Dans cette injonction paradoxale, elle pète un plomb. Qui ne pèterait pas un plomb ?
Elle vient me voir après être allée voir un autre « psy du travail » qui lui a dit qu’il fallait qu’elle se calme et qui lui a dit de demander des médocs à son médecin traitant.
Elle est partie en claquant la porte en lui disant qu’il n’avait rien compris.
« Qu’est-ce qui vous amène ? » est toujours mon entrée, mon sésame ouvre toi.
Je la fais raconter quelles sont les différentes étapes qui l’ont conduite à en arriver là, à cette impasse. Elle me raconte qu’elle a changé de chef, que l’ancien chef lui faisait confiance, que celui-ci non. Qu’à chaque fois qu’elle lui fait une remarque même anodine sur le travail, il le prend pour lui.
Au fur et à mesure qu’elle me parle de sa situation professionnelle, elle se rend compte qu’elle subit une injustice qu’elle vit comme un déshonneur. Dans sa famille, son père a eu la Légion d’Honneur, son grand père, la Croix de Guerre… Ses ancêtres s’invitent au cabinet.
Je lui suggère qu’il est peut-être possible de « laver son déshonneur ». Je lui demande quelles sont les règles et l’organisation du travail qui sont appliquées dans son service, dans son département, dans son institution. Je lui demande quels sont les usages, us et coutumes. Je lui demande quelles sont les traces écrites qui montrent et démontrent qu’il y a bien un lien de subordination et qu’il y a bien un encadrement qui donne les moyens de travailler et qui lui demande des comptes…
Je lui demande de revenir la prochaine fois en ayant écrit un peu son histoire à elle. Sa biographie professionnelle à elle, qui, nous le savons, n’est pas l’histoire vécue, mais l’histoire racontable.
La semaine suivante, nous lirons ensemble le texte, nous l’amenderons.
Oui. Ma clinique est engagée. Corporellement engagée. Psychiquement engagée.
Dans le camp de la vie.

 

Pour une autre, sa manière élégante à elle de dire qu’elle est épuisée psychiquement, moralement, corporellement au travail est de dire « qu’elle travaille un peu… trop ».
Je lui rappelle que son travail est aussi un gagne pain, que ce n’est pas le lieu de son sacrifice. Que si les nouvelles formes de management demandent un « engagement » totale corps et âme du salarié, il est peut-être possible de faire autrement…
« Oui, mais ma chef va me tuer. »
« Ah, parce que vous n’êtes pas déjà en train de vous tuer ? »
Oui, ma clinique est engagée. Enragée, souvent. Du camp de la vie.

 

L’imaginaire, la métaphore, la métonymie
Trouver les chemins de traverses, les portes dérobées, résoudre les codes et les énigmes, MacGiver, Indiana Jones, Harry Potter ou Miss Marple ?
C’est fatiguant, de devoir se mobiliser dans cette aventure, même si, parfois, les premiers mètres du sentier me semble être les mêmes.
Car sans la mobilisation de mon psychisme à trouver les décalages possibles, les détours et les déviations, il ne m’est pas possible d’exercer cette clinique. Comment sortir de l’impasse ? Bien sûr, certains patients nous refont vivre et revivre les mêmes répétitions à répétition… comme nous-mêmes face à nous-mêmes dans une situation… classiquement psychothérapeutique…
La nôtre, c’est une clinique de l’action comme d’autres diraient de l’agir, c’est une clinique où il est de notre devoir de tenir compte du lieu où la scène se déroule, à savoir au travail, c’est à dire une scène régie par des Règles et des Lois. Même si, de nos jours, la barbarie a envahi cette scène et la Loi du plus fort s’est souvent installée, faisant la lie à d’autres barbaries à venir et en ayant fait le lit du quart monde précaire et sans travail.
Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas dans le cent pour cent fantasmatique, déraciné et hors sol, notre clinique doit être indexée à la réalité du patient. Nous écoutons le patient au travail, le travail du patient et le patient du travail. Une trilogie pour ne pas dire une triptyque, une tragédie en trois actes pour ne pas dire une commedia dell’arte… engagée dans le camp de la vie.
Car il s’agit bien de la vie qui est en jeu, sinon nous ne mourions pas au travail. Car il s’agit bien de la vie au travail, la vie du travail et du travail de la vie.

 

Le corps, notre santé à nous
Je l’ai déjà dit plus haut. Je ne travaille pas au détriment de ma vie.
Je ne me sacrifierai pas au nom de je ne sais quelle croyance comme quoi les patients seraient plus importants que ma santé. Si moi je meurs, les patients continueront à vivre… même en souffrant. Je fréquente assez de soignants en burn-out pour moi aussi, totalement cramer.
Comme pour tout soignant, c’est notre éprouvé dans et du corps qui permet d’entendre, de comprendre, de réaliser, de déréaliser, bref… de travailler. C’est notre corps qui porte l’empreinte des expériences passées au travail et en dehors du travail, des réalisés incorporés, des échanges faites, des scènes vécues. C’est parce que les théories, pratiques, lectures, repères se sont fondus en nous et laisse le corps s’exprimer. C’est la bouteille…
Sans mon corps, pas de clinique, seulement un microphone aphone et débranché posé sur un fauteuil. Sans mon corps, c’est plus confortable. Je ne suis pas fatigué. Je ne suis pas éprouvé. Je ne suis pas traversé. Je ne suis pas projeté. Je ne suis pas dévoré, phagocyté, dégusté. Pas besoin de chercher à identifier où je suis, qui je suis, dans quel état j’erre…
Mais il y a toujours des limites à ce laisser-faire, ce laisser-maltraité, ce laisser-gémir.
Chacun trouve pour soi cette limite somato-psychique (oh ! un gros mot).
Sans cette limite, pas de clinique. Je tiens à moi car je tiens à la vie. Plus qu’à tout.
Avec cet égoïsme là, je ne dérogerai jamais du camp de la vie.

 

Infinie et interminable
La clinique du travail, comme toute clinique, est infinie. Infinie parce qu’elle est au carrefour des sujets tous uniques, des imaginaires uniques et des situations de travail toutes uniques aussi, avec des institutions différentes, des organisations du travail différentes, des missions différentes, des destinataires de l’activité si différents.
C’est à ce carrefour là où je suis.
De ce point là, les horizons sont infinis et la pratique est toujours sans cesse renouvelée de nouvelles rencontres et de nouveaux espaces intermédiaires.
Je peux continuer à vivre intensément car ce combat est interminable. Gagner un peu de terrain sur le terrain de la mort rend la chose – le plaisir ? – infinie. C’est pour ça que je reviens. Que je remonte dans le ring. Surtout quand je m’en suis éloigné quelques temps.

 

Mes repères de chevet…
Je refuse de jargonner, de citer pêle-mêle mes références comme autant d’heaumes et armures que je déteste, je préfère une tenue légère en coton.
Cela ne m’empêche pas de penser que quelques repères peuvent quand même être utile…
Dans le désordre, Virginia Woolf, Jean-Bertrand Pontalis, Nathalie Zaltman, Freud, Siri Husdvedt, Wilfried Bion, Abraham et Torok, Bourdieu et Goffman puis j’en oublie et j’aime les oublier.

Voilà, chère amie, un petit témoignage de ma pratique clinique de psychologue du travail.

Amicalement,