i’ve read it !

« Vous savez, j’ l’ai lu ! »

Le monsieur vient me voir parce qu’il est persuadé qu’il a subi un harcèlement moral.

 

« J’ai écrit au président, docteur.

Parce que j’en ai parlé à mes collègues, ils disent tous qu’il est malade, mon chef. C’est un pervers, c’était écrit dans le livre de la dame, psychologue ou psycha… je sais plus.

Vous la connaissez ?

Ben, je m’y suis retrouvé, dans ce qu’elle a écrit, la, la liste, je l’ai lu, c’est moi ça. »

 

De quoi vient-il me con-vaincre ?

Il me décrit ce qu’il constate à son travail… Illégalité, injustice, discrimination dans le traitement, tout y passe… sauf… le harcèlement moral.

Petites choses prises les unes séparées des autres, les unes à côté des autres, il peut faire coller la réalité qu’il vit à des phrases du livre qu’il a lu.

 

Puis, chemin faisant, je souligne qu’il s’agit d’injustice… de discrimination… Et que sa réaction face à cette situation qui a eu lieu il y a plus de neuf mois me semble disproportionnée…

Depuis, il a changé de service, il n’a plus le même chef… et celui d’aujourd’hui est très bien, il reconnaît le travail bien fait… Ce chef est juste, il sait remettre de l’ordre…

 

Alors pourquoi aujourd’hui, neuf mois après avoir quitté son ancienne équipe ?

 

Il trouve cette injustice intolérable…

Et il y revient sans cesse… Je sais depuis que j’ai commencé à l’écouter que le harcèlement moral était ailleurs… qu’il s’agissait d’une autre violence… Mais laquelle ?

 

 

« C’est la pire qu’il me soit arrivé. Jamais avant, j’ai eu ça. J’ai eu du mal à trouver ce travail, moi je travaille bien vous savez, sans être prétentieux, j’étais le meilleur de l’équipe, le moins glandeur… Avant, j’ai eu tellement galère pour trouver un boulot, avec le racisme ordinaire… »

« Ordinaire ? »

« Ben ouais, chuis arabe, c’est le truc normal quoi. »

« Normal ? »

Il me regarde, sidéré. Ses yeux sont ronds, remplis d’étonnement.

« Vous trouvez pas ça normal, vous ? »

 

Moi aussi je viens d’ailleurs.

Moi aussi, on m’a traité de « sale jaune », de « chintok »…

Je ne faisais même plus attention, je finissais par trouver ça normal

Tellement normal… Pour s’intégrer, il fallait oblitérer une partie de son identité, comme s’il fallait devenir plus blanc que blanc

Combien de fois, on m’a dit : « Vous parlez très bien français. Sans aucun accent…C’est extra-ordinaire… »

« Et pourtant, j’ai bien une gueule d’asiatique… Pas vrai ? »