Étroit, ce chemin de vie

#archéologue #spéléologue #alpiniste #parachutiste

Écouter l’autre, c’est une posture risquée. Dans la vie de tous les jours on donne son avis ou par moment, on s’abstient. Parce qu’on ne veut pas froisser. Parce qu’on pense que ça va l’aider.

Mon fauteuil sur lequel je voyage tous les jours, c’est un tapis volant. Nous allons de la montagne à la mer, du Sahara au pôle Nord, de Mars à Vénus, des fleurs des prairies alpines aux steppes de Mongolie… Des lapons, des magyars, des pachtouns se croisent et se saluent, balancent des zombies combinés au Dracula avec ou sans ail, avec ou sans lumière, au gré des associations d’idées, d’images, de couleurs, de métaphores, de mouvements, de sentiments sensations émotions…

La célérité à associer, à sauter du coq à l’âne, de l’Anne aux coques, des coques aux années, des aînés à la coqueluche… que des jeux de mots ou des inflexions, la tonalité qui change, le corps qui parle, les symptômes qui se nichent dans les recoins comme ces vieilles araignées des maisons, cachées mais présentes, agissantes comme des poissons d’argent qui fuient la lumière…

Je refais ma salle de bains et en cassant le plâtre sous le carrelage, je vois les traces des passages d’avant. Un tuyau en cuivre emplâtré ci et là parce que l’ouvrier précédent n’a pas voulu y faire place nette… un câble électrique qui traverse la salle d’eau, – en général, nous sommes d’accord ? pour tuer c’est efficace, mais un peu dangereux tout de même ? – et qui s’avère être un câble coupé (ouf) mais tranché de sa mémoire d’avant… à quoi cela servait ? À qui était il destiné ? Puis, un triangle en plein milieu de briques clairement alignées sans bavure… ah… un franc-mac est passé par là.

Par moment, je suis archéologue des vestiges ensevelis comme archéologue du bâti. Oui, on peut revisiter mille fois la même pièce de la même maison, identifier ce qui a changé depuis la dernière fois… Ah mère-grand a déplacé sur la commode la photo de mon oncle, vous savez celui qui a fait la guerre et a fait fortune en spoliant les juifs… on peut revisiter les sous-sols et les caves, y voir les tombeaux et les squelettes des personnes parfois non identifiables qui jonchent le sol des cryptes… Comme à l’abbatiale de Saint-Gilles, dans le Gard, dans la Petite Camargue, haut lieu de pèlerinage au moyen âge et Saint-Gilles est le saint patron de ? Des psys ! et les flamants roses, eux, ils ont aussi un saint-patron ? Dans le polythéisme, les flamants roses auraient aussi leurs dieux à eux… pour ceux qui doivent migrer pour chercher les krills qui les colorent dans ce rose pâle si joli… lesquels krills sont en train de disparaître car il n’y a plus beaucoup de planctons dans les mers…
Je m’égare… comme souvent dans l’écoute, on s’égare… on s’y perd, on s’emmêle les pinceaux, on se demande dans quel état j’erre, sur quelle étagère, ah oui, celle de mademoiselle Martin, ma maîtresse de CP qui rangeait le pot de colle Cléopâtre que mon voisin David mangeait comme de la friandise… je m’évade aussi pour éviter un éboulement qui pourrait m’anéantir…

Une fois, je cherchais un lapinou devant l’abbatiale à Saint-Gilles, ma chérie m’ayant demandé une photo de celui-ci. Ne le trouvant pas sur la façade où il devait être, j’ai interpellé la dame qui restaurait celle-ci. Elle me répond qu’elle ne sait pas, mais que sa collègue qui est là depuis plus longtemps doit ça voir… et paf… la collègue nous crie du quatrième étage de l’échafaudage : « en bas de la colonne du milieu droit ! » Euh ? En bas de la colonne du milieu droit ? La première dame qui a eu la gentillesse de demander à sa collègue est alors descendue avec moi pour chercher ce lapinou… Alice voit ce lapin en retard courir… le lapinou était introuvable !
Après de longues dizaines de minutes de recherche à quatre yeux, le lapinou qui était en fait devant mon nez, est apparu. Hourra ! Ce qui est sous nos yeux est parfois invisible même si sa valeur est inestimable nous sommes nous dits avec l’archéologue.

D’autre fois le fauteuil m’amène à faire de la spéléologie. Étant un peu claustrophobe, descendre dans des grottes n’a jamais été ma tasse de thé. Je préfère mille fois m’envoyer en l’air et rêver de voler que de ramper dans la glaise sombre humide et froide. Je sais qu’il y a des passionnés de cavités et conduits qui découvrent et remontent des kilomètres entiers de couloirs souterrains dont le récit est passionnant.
D’ailleurs, encore un aparté, il y a une brigade à la ville de Paris chargée de reboucher les trous des spéléologues amateurs des catacombes… l’un de ces brigadiers me racontait que pendant des mois ils cherchaient une entrée qu’ils ne trouvaient pas… elle avait été peinte par le contrevenant comme une porte dérobée de Château, comme un décor de théâtre m’a-t-il dit… quand le désir est, il décuple l’inventivité… qui penserait leurrer des inspecteurs du bâti avec un faux décor en papier mâché ?
C’est quand je suis contraint à la spéléologie fauteuillesque que mon dégoût claustrophobe m’envahit. Beurk… pourquoi fallait il faire sauter ce faux décor et sauter à pieds joints dans ce puits dont le fond me semble impossible à atteindre ? Et pourtant ! Et pourtant… parfois il faut remonter à la source… et l’eau ne jaillit pas de l’air… mais de la terre…

Quand je suis arrimé à la terre, archéologie ou spéléologie, c’est plutôt… tranquille… faut seulement avoir de la patience…
C’est lorsque l’on passe aux activités de plein air, alpinisme et voltige que la tenue de route du fauteuil est capitale.
Pouah ! Le ravin des deux côtés, faire le funambule sur la ligne de crête, avancer parfois même à quatre pattes ou huit pattes, pas toujours encordés (y des allergies aux cordes…), pas toujours équilibrés non plus. Parfois courir dessus pour garder son équilibre tout en ayant une concentration maximale sur ce qui a été fait ou qui a fait, qui a dit, qui habit-e…
L’autre raconte, parle, dit, énonce, prononce, aboie, hurle, crie, pleure, gémit, jouit, se tait… et moi ? J’entends toutes ces variations, tous ces sons souvent peu mélodieux, c’est plutôt le bruit de borborygmes que de la symphonie de Mozart !
Cela me traverse ; je dis souvent. Cela me percute aussi parfois. Cela résonne souvent… cela me raisonne peu mais m’arraisonne. Et je vois les précipices dans lesquelles l’autre peut m’y conduire, faire cette chute infinie sans filet ni corde ni parachute… oups…

Cette peur là, les psys peuvent dire ce qu’ils veulent, nous l’avons tous un jour, rencontrée. Et certains courent en voir un autre (psy) pour en parler… un superviseur ou une superviseuse… un psy encore… pour parler encore… parler, parler… pour l’élaborer en supervision… comprendre ce que cela veut dire pour nous donc pour l’autre… foutaises ! c’est pour mieux noyer le poisson. Shakespeare avait raison… Je me le dis souvent : much ado… for nothing…

La question est celle d’affronter la peur de l’autre en soi, de cette familière étrangeté de la folie en soi et aussi inquiétante soit-elle, cette humanité qui la génère et qui dégénère sous nos oreilles…
Ma misanthropie me sauve de cette peur, car elle m’aide à ne pas m’effaroucher de la première chose étonnante… le primat du trauma comme diraient certains. Cette espèce de tête de gondole de supermarché. Ce machin débile qui consiste à rester le nez scotché devant #BFMTv au moment des attentats et voir en boucle les mêmes images jusqu’à en être saoulé tellement c’est toujours la même chose…

Je l’ai déjà dit ailleurs, la psy, c’est un sport de combat. De combat de la vie contre le mortifère et ses sbires… contre les zombies, les Vador et autres détraqueurs…
Et c’est un combat au corps à corps, au coude à coude, sans gant sans protection sans amphét’ sans dopage. Avec comme seul outil une foi inébranlable en la finitude et la fragilité de la vie.
Bref, que notre seule certitude est que nous mourons tous un jour mais nous ne savons pas quand.