fragilités

 

« Attention, fragile. »

 

Tous les jours, j’accompagne, je soigne des personnes dites « fragiles ». La réalité de leurs soi-disantes « fragilités » est aléatoire mais ce n’est pas ici le propos.

Tous les jours, je travaille.

J’en tire un vrai plaisir, de voir mes patients aller mieux, je m’inquiète quand ça ne va pas, peut être meme un peu trop, mon côté beaucoup trop maternant, certes….

Je t’assure, j’assume le rôle d’être là pour rassurer l’autre, mais qui me rassure moi ?
J’assure aussi ma survie, mon existence à travers tout ça, ce vécu, ces gestes, cette présence. J’assure… Je m’assure, je me rassure d’exister. L’identité professionnelle n’est-elle pas aussi importante que la sexualité ? Et ne conduit-elle pas, dans un extrême, au burn-out ?

Mais la fragilité, soi-disante fragilité, est aussi une force… Qui transcende, qui fait bouger les lignes et qui permet à tout un chacun de transformer les choses.
窮鼠蛇を噛む。
« Kyuso hebi o kamu » dit un dicton japonais. Littéralement, cela se traduit par : « Acculée, la souris mord le serpent. »

Me sentir fragile, frêle, ressentir la fragilité chez l’Autre, avec mon désir naturel et maternel de réconforter, d’apporter un soutien, de l’amour, m’a empêché de voir les choses. Derrière cette soi-disante fragilité, il y a aussi une force de vie, intacte ou non, conservée ou non, mais qui permet à l’Autre de faire son chemin et de grandir. L’étai peut être utile pour s’y appuyer… Tant qu’il ne devient pas un étau dans lequel on étouffe et s’empêche de vivre.

Parfois, cette même fragilité se réveille d’une longue nuit d’été.
La douleur d’un souvenir, la révélation d’un fait ancien, la douceur d’un parfum croisé au hasard d’un détour de rue, le sourire d’une jeune femme qui traverse la rue, la lumière du soleil qui pénètre par la fenêtre, la brise qui soulève le rideau, le vent qui emporte les feuilles mortes… Mille et une scènes de la vie quotidienne qui se transforment alors en cènes tantôt obscènes, parfois cruelles, comme si, cette blessure là, narcissique ou non, ne s’était jamais soignée…
Pourtant, c’est bien là que les rêves croisent la réalité et que celle-ci révèle à soi ses propres forces… J’ai franchi cette épreuve même si j’en garde les cicatrices de la traversée, je l’ai réalisée – dans tous les sens du terme – j’y suis arrivé. Et nous repartons vers de nouvelles aventures, parce que ma vie n’est pas terminée, nous devons continuer de cheminer.

Comme toutes les traversées, les plans de navigation que nous avions eus avant ne sont plus efficients… Nous avons changé nos plans en cours de route, nous avons cheminé autrement que nous l’aurions cru. Nous découvrons que nous pouvons encore nous découvrir et que notre découverte n’est pas terminée… Elle se transforme en nous transformant et en nous avançant.

« Je ne l’aurais jamais cru » dit elle.
Moi non plus mais au fond de moi cela ne m’inquiète pas.
« Vraiment. C’est surprenant. »
« Mais cela vous libère, n’est ce pas ? » demande-je.
« Oui. Paradoxalement, je me sens libérée même si c’est douloureux. »
La liberté a-t-elle toujours un prix, celui des émotions liées aux larmes et des larmes liées à l’éprouvé. Mais que pleure-t-elle ? L’amour perdu ou l’amour à trouver ?