regards flottants sur pensées vagabondes…

 

Je suis sur le quai de la ligne 1 du métro.

La première construite, celle qui traverse Paris dans sa largeur, celle qui relie le Château de Vincennes à l’Arche de la Défense.

C’est une ligne assez linéaire, les courbes sont rares, il y en a une dite « difficile » à l’arrivée sur la station Bastille et à sa sortie, puis à Charles de Gaulle ou la station est en courbe comme à Nation, et, pour terminer à la porte de Maillot où les voyageurs peuvent être un peu secoués.

 

Depuis l’arrivée de la 14, Paris connaît la ligne automatique, ses MP89 qui file à toute allure des Olympiades à Saint Lazare…

 

La « Une » est devenue automatique depuis peu.

Elle n’est pas encore entièrement automatique, car les rames automatiques sont introduites progressivement.

 

Nous pourrions discuter longuement sur les raisons qui ont poussé la Régie à automatiser à grands frais acétate ligne. Absence de grève des conducteurs, faible taux d’accident voyageurs (les portes palières empêchent les voyageurs de tomber sur la voie), fiabilité, coût de personnel moindre…

Mais tel n’est pas mon propos.

 

Mon propos est de s’interroger sur les derniers « vrais » conducteurs de métro qui travaillent encore sur la ligne, précédée parfois par des rames automatiques… Qui en croisent d’autres automatiques, des robots… Pilotés depuis la centrale de commande… Sur lesquels les dispositifs dits « d’homme mort » n’existent pas, puisqu’ils sont automatiques…

 

Ces derniers des conducteurs de la Première ligne parisienne jamais construite font un travail qu’une machine peut faire et suivent des machines qui roulent toute seule, et peuvent être suivis par une autre qui roule elle aussi toute seule…

Avec les portes palières les Machines ne verront jamais à la sortie du tunnel un homme ou une femme s’éclater contre les vitres de la rame…

Les robots ne partiront pas en tirant les passagers par leurs écharpes étranglant et traînant le monsieur ou la dame, happé par la porte du train…

 

C’est vrai.

 

Mais quel regard puis-je porter sur mon travail, celui dans lequel je suis investi corps et âme, avec sa dose de stupeurs, de tremblements et de lassitudes ?

 

Oui, ces rames, même avec un conducteur, peuvent rouler en pilotage automatique. Mais à tout moment le conducteur pouvait revenir en conduite manuelle… La Machine lui était encore un peu soumise…

Même si à chaque génération, les conducteurs ont perdu la main sur le matériel…

Mais là, c’est la Machine qui le soumet à sa Loi de l’Automatisme…

 

La mécanique voix du quai annonce l’arrivée dans une minute de la rame suivante dans laquelle je vais m’engouffrer.

 

Et ma pensée va à ces derniers conducteurs qui doivent mobiliser leur énergie pour devenir des robots, contraints de se dénaturer pour pouvoir continuer à travailler.