faire le phare

 

Il y a des soirs, je me demande pourquoi je fais ce métier.

Un métier de fou. De masochiste ai-je déjà dit ailleurs.

 

Entendre les pires horreurs de la vie.

Ecouter les souffrances les plus douloureuses qui soient…

Pour chacune des patients que je reçois, sa consultation est toujours la première fois.

Même si, pour moi, c’est la sixième séance de la journée… Et que je commence à être usé.

Etre l’objet de projection multiple et variée, de la colère, de la rancoeur, de la rancune, du désespoir, de l’abandon, de la déception, de la dépression…

Et face à ce ras de marée là, rester en vie.

 

Parce qu’il faut rester en vie.

 

Comme le Créac’h, sur Ouessant, face à la folie des vents et des vagues, résister à cette déferlante…

Parce qu’il faut attester que la vie continue, qu’elle existe, même dans les moments les plus sombres de la traversée.

 

Le gardien de phare que je suis, le phare que j’exerce, s’épuise à dormir sous les coups de massues, la houle qui cogne contre les murs, les sols qui craquent, les lampes qui tanguent brutalement…

La crise n’est pas loin, la douleur traverse les murs épais, craque les murailles…

 

Je sais que ça ne dure pas.

Je sais que, quelque part, ça ne me concerne pas.

Ce ne sont que des vagues… des choses qui vont et viennent… des choses que le vent, la lune, l’attraction terrestre produisent… oui… c’est un peu cela…

Mais ça ne peut pas ne pas me concerner…

Puisque je me sens cerné… envahi, enfermé dans ma citadelle…

Puisque je sens les attaques… et que je dois passer ma journée à faire tri, les esquiver et résister à la tentation de tout renvoyer en bloc…

 

Puis, le printemps arrive, et heureusement qu’il arrive, renvoyant l’hiver à sa première demeure, il arrive des fois avec fracas, d’autres fois avec douceur, parfois avec pudeur.

Et elles viennent me dire, elle viennent partager, dire merci, à ce phare qui, malgré tout est resté là, pour être là, cette présence bien veillante, en veille, là, tout simplement là où les choses peuvent être dites et là où les choses peuvent être partagées, sans qu’elles ne soient refusées ou jugées à l’aune de je ne sais quelles croyances.

 

C’est cet engagement là qui continue à me faire vivre, cet engagement dans la vie et la liberté de penser et de rêver. L’agir vient parfois, après, lorsque la pensée a fait son travail de perlaboration.