elle s’assoit

 

Quand elle s’est assise, je me suis demandé comme j’allais faire.
Depuis quelques années, la question du « faire » se pose de moins en moins chez moi. Mais là, c’était manifeste.
Ce qu’elle était venue chercher, ce n’était pas de faire quelque chose de cette souffrance qu’elle portait, mais c’était que je la lui prenne.
Or, je ne peux pas prendre la souffrance de l’autre, c’est évident… cela ne m’appartient pas. Et, qui serais-je d’ailleurs pour la lui prendre ?
Elle se met à pleurer à plein poumon comme si la colère ?, la haine ?, je ne sais quoi encore ? venait à surgir là où la chose ne peut que faire irruption. Je peux entendre, cette charge, lourde, de l’immigration, de notre époque où si je porte un nom, un prénom d’origine maghrébine ou africaine, c’est déjà compliqué… d’avance… par avance sans cette avance qui permet à chacun de s’en sortir, s’en élancer plus tôt.
Pourtant, ce qui lui arrive à cette dame est ignoble, inimaginable dans la société dans laquelle nous vivons. Mais ! et c’est bien cela, le souci. Le « mais », cela a eu lieu.
Je lui demande si elle a quelqu’un dans son entourage qui pourrait l’aider à écrire un courrier… Même si je savais pertinemment la réponse, je la pose. Pour la forme.
« Non, docteur, j’ai personne qui sait faire ça ».
Oui, personne ne sait faire « ça ».
Ce « ça » qui ouvre une blessure immense d’un abîme sans nom, qui s’abîme et s’anime, qui peut comprendre comment il faut dénoncer l’ignoble quand je ne sais pas comment fonctionne cette machine, cette organisation pyramidale qu’est la territoriale ? Primo-arrivant, comment puis-je imaginer comment « ça » fonctionne ?
Des personnes bien avisées me feraient certainement remarquer que depuis le temps qu’elle est en France, titulaire de la fonction publique au poste de femme de ménage, elle pourrait savoir « ça ».
Je lui ai écrit le courrier, comme un écrivain public ou un assistant social pourraient le faire, racontant et accompagnant la lettre des « pièces » qu’elle avait apportées.
Est ce que cette chose lui permettra d’avoir gain de cause ? La question n’est pas pour moi à cet endroit.
La visée d’autonomie de l’autre, oui. Se défendre de la dépendance, oui. Quand il n’est pas possible d’ouvrir certaines portes, les casser avec un bélier ne permet pas de travailler le fond. J’attends de voir, si cette lettre postée permettra de lui ouvrir la porte.

 

—–

 

Le monsieur parle à l’agent de la RATP du métro.
« Vous savez, ma mère arrive à 10:00, à la gare. Je suis venu la chercher. »
L’agent acquiesce gentiment avec un sourire feint mais qui ne trompe pas les autres passagers.
« Elle a 87 ans, alors faut que je vienne la chercher ici. Elle ne connaît plus le chemin… »
L’agent l’écoute gentiment, impassible mais avec cette belle intention lumineuse, un sens clinique que peu de psychauds en tout genre possèdent… mais devraient apprendre… mais qui ne s’apprend pas, mais se reçoit, se cultive, s’élève…
« C’est Noël aujourd’hui, vous savez, je ne veux pas la louper, alors je vais descendre sur le quai vous savez. C’est une vieille dame, elle vient de loin, elle prend le train, elle a 87 ans… »
L’agent reste là, regarde l’heure. Intrigué, je lève la tête. Il est 9:10 du matin. Elle arrive à la gare à 10:00. Le monsieur a franchi le tourniquet, l’agent le regarde s’enfoncer dans les entrailles du métro… Combien de temps va-t-il l’attendre ? Et va-t-elle réellement venir ?

 

—–

 

La petite fille a envie de faire caca.
« Je vais d’ailleurs faire un gros prout. »
Autour, les adultes bienveillants sourient.
Visiblement, elle s’emmerde. Grave.
Le trajet est long, le train a déjà une heure de retard. Parti de Perpignan pour rejoindre la Capitale, sans son heurt de retard, y en a déjà pour cinq heures et demi. C’est immense cette durée pour une jeune petite fille de trois ans. Y a de quoi s’emmerder. Et si en plus, dans une gare sur le trajet, quatre personnes s’enferment dans les toilettes pour tenter de remonter incognito vers la Capitale, le train à grande vitesse devient le train avec grand retard… de quoi emmerder encore plus la jeune fillette pipelette qui chante à tue tête, j’ai envie de faire caca, j’ai envie de faire caca, j’ai envie de faire caca, j’ai envie de faire caca…
Maintenant, un chat est passé, a fait pipi là où l’odeur ressemblait à une litière, c’est-à-dire devant la porte des toilettes !

Purée… quelle ménagerie.