Spontanéités – immédiatetés – instantanéités

 

Soyez spontanée, lui avait on dit.
Injonction paradoxale lui ai-je expliqué.

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L’ordre d’être spontanée serait aussi absurde que l’ordre d’être créatif. La création artistique, la rêverie, la divagation de la pensée sur des choses éphémères, ne supportent pas l’ordre. Quand rêve-t-on sur commande ?

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La sainte trinité gestionnaire, économiste et libérale (le « gel ») voudrait que la spontanéité soit imbriquée dans l’immédiateté et dans l’instantanéité.
Vivre le présent sans se projeter dans le futur immédiat ou proche, sans se soucier du passé et de son histoire à vivre, vécu ou à venir.
Cette création spontanée… comme, je le dis souvent : le bébé arrive-t-il sur terre, malgré toutes ses capacités, à marcher dès qu’il est sorti du ventre de sa maman comme nos amis les quadrupèdes ?
Non. Il faut un lent long apprentissage semé d’embûches, d’aides, de répétitions, de volontés.

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Je me souviens des premiers pas de mon fils, quand l’ontogenèse rencontre la phylogenèse, son sourire épaté de pouvoir se mouvoir dans l’espace pour mieux voir haut comme nos ancêtres… les premiers hominidés… avons-nous appris à écrire ou à parler « comme ça » ?
Or, de nos jours, le fantasme serait qu’il faut être performant dès le premier jour, sans expérience, puceau pucelle de l’activité professionnelle, comme un vieux roublard de la chose…

L’immédiateté du clic chez un marchand du net, l’arrivée en quelques jours de la chose convoitée chez soi, en passant parfois par le guichet de la poste ou d’un primeur grincheux…
Cette accessibilité, open, partout où il y a de la 4G, du jus, comme dirait certain, peut donner l’illusion d’un accès immédiat… à toutes les choses que nous pourrions convoiter… des objets… et des humains… (je ne citerai aucun site de rencontre dont le logo afficherait des caddies…).

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Le travail reste et restera le lieu de l’affrontement entre deux temporalités différentes, parfois complémentaires et souvent contradictoires. Notre fameux clic du désir suscité par la convoitise… consomme lui aussi d’autres humains chargés, malgré tout ce que l’on nous dira de l’automatisation de la logistique, de faire ce travail… invisible derrière l’écran…

Oui, le travail rend ce « clic » impossible fantasmatiquement réalisable et force à l’impenser de celui-ci comme « norme » du travail. Autrement dit, nous aimerions que cela soit aussi facile et spontané qu’un simple clic. Un exemple actuel nous le montre… Une grande enseigne aux Etats Unis d’Amérique propose à ses salariés « volontaires » de livrer eux-mêmes sur leur chemin de retour vers chez eux, des colis livrés en magasin par le désir du clic. Si le clic est simple, l’acheminement de l’objet du désir à la source du clic a un coût… humain… Alors, pourquoi ne pas mobiliser toutes les ressources… humaines… pour ce « clic » ?

Nous aimerions tous aller plus vite, plus loin, plus… plus… plus… Mais vers où ? Est-ce que je veux sacrifier ma poésie et ma rêverie à un clic ? clac. clic. clac. clic. clac. clic. clac. a. i. a. i. a. i…

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« Mais il faut que je travaille monsieur », énonce-t-elle avec ce paradoxe étrange d’une âme perdue dans l’océan des incertitudes peuplé d’incertains qui aimeraient tellement que la complexité devienne un complexe obsessionnel amenant tout à être simplifié.
La simplification comme masque d’une compétence de façade vendue en panneau publicitaire qui permet à l’incompétence de sévir devant la vie.