quand l’oeil gauche vacille…

 

J’ai déjà parlé de ma petite manie.

Celle « d’écouter avec mon oeil gauche » et non mon oeil droit.

 

Depuis quelques jours, la fatigue aidant, mon oeil gauche me fait ressentir qu’il n’en peut plus. Le regard se brouille, je fixe moins vite, l’acuité est plus lente… Un peu comme ces vieux autofocus dont la vitesse de mise au point pouvait altérer la prise de vue. Pourtant, je sens bien que ce n’est pas simplement un problème « somatique »… mais plutôt une alerte de mon oeil…

J’ai des « sauts » de tension.Un peu de repos me fera du bien.

 

Mais c’est autre chose qui m’est venu et que je remarque.

Mon oeil gauche, lorsque j’écoute les patients, se concentre sur leur oeil gauche aussi.

Mon regard est donc « orienté », comme s’il fallait que la relation subjective se « fixe » par le même canal que le mien.

 

Bien sûr, mon regard se balade… aussi. Et heureusement.

 

Je regarde le visage, l’allure, la tenue du corps, la manière dont la personne se meut dans l’espace, sa marche. Je vois si elles ont mal au dos, mal au bassin, si elle traîne une jambe, si les mouvements sont harmonieux. Je ressens les petits « symptômes » que chacun traîne, subissant les aléas de la vie et la maltraitance du travail. A force de courber l’échine, le dos garde des traces. C’est bien connu.

Je ressens aussi, avec les traits tirés, le sourire, le bonjour, la main qui m’est tendue en début de séance, l’état « d’entrée » de la personne qui vient d’arriver.

Je regarde comment elle est habillée, comment elle ôte ou non son manteau, comment elle fait tourner ou non son écharpe, comment elle joue avec ses cheveux, qu’elle les mordille…

Avec les beaux jours, je regarde les décolletés, je m’évade, je rêve… Si je ne ressentais pas ce Désir là, mon empathie serait à plat et la relation ne pourrait plus être thérapeutique…

Avec le temps, je les vois se transformer, certaines fondre, perdre du poids, retrouver le sourire, d’autant qu’elles peuvent me raconter au combien c’est si agréable de ressortir des vieux habits d’une taille ou deux d’en dessous… rajeunir, retrouver son corps, reprendre goût à la vie… se trouver belle, se regarder dans la glace, les imaginer inspecter la chute de leur rein devant le miroir…

Ce qui se passe au cours d’une séance, dans une pièce d’un cabinet ou d’une consultation, dans une relation thérapeutique (ma psy m’amuse en me disant que même la boulangère est capable d’établir avec un client une relation thérapeutique… remarque qu’en passant, je m’amuse à laisser filer…) est tellement suspendue hors du temps, ailleurs, dans une chose étonnamment puissante, étrange et si poétique…

Mais ce n’est pas de cette balade là, cet ode à la vie que je voulais évoquer ici…

 

Non.

Je voulais parler de mon oeil gauche… qui s’use avec le temps, que je sens plus fatigué que l’autre à vouloir faire passer et pencher le lien. Si dans la relation psychanalytique, le thérapeute est assis derrière le patient, ce n’est pas pour rien… Le regard de l’autre ne devient pas un point de mire, une jauge… Le regard de l’autre n’évalue pas.

 

L’autre jour, l’une de mes plus belles patientes (ça y est, ça dérape un peu… rires) me disait :

« Je ne sais pas de quel mal je souffre, mais je vous soupçonne de savoir » – ça voir ?-

Bien évidemment, je ne sais pas et je ne vais pas lui dire que je ne le sais pas… En tout cas, pas là, dans cet instant là…

Et mon sourire bienveillant lui renvoie une réponse.

« Oui, même si vous savez, vous ne le direz pas. Mais je sais que vous savez, même si vous ne me le direz pas et je ne veux pas savoir parce que peut-être que je ne vais pas accepter ce que vous me direz… »

Si elle ne me voyait pas… Son regard ne se serait pas rivé au mien…

Et je n’allais pas baisser les yeux ou regarder ailleurs à ce moment là, je ne voyais pas la raison qui m’aurait poussé à (me) détourner mon/ de son regard…

 

Après mon Uppercut, mon ostéo, avec qui je parlais du « contact », me disait que lui, lorsqu’il se sentait envahi par les « fluides » du patient, il coupait la relation avec douceur… qu’il faisait un pas de côté… et qu’il allait se « laver les mains » (s’en laver les mains ?) pour pouvoir poursuivre et mieux revenir. Du coup, je me suis rappelé la seule fois où je l’ai vu partir et se laver les mains en cours de séance… Et ça m’a laissé rêveur…

Moi aussi, je coupe… Je regarde par la fenêtre, je tourne le regard vers les images ou les objets posés ci et là… Mais peut-on couper vraiment ?

 

Et voilà que depuis quelques jours, mon oeil gauche me fait mal. Il vacille.

Il est alternativement sec, trop humide, les paupières sautent…

Je crois qu’il n’en peut plus de regarder passer les émotions…

Que mon corps n’en peut plus d’encaisser…

 

A moi de trouver une autre vois/e/x à ce pas/sage là, ce lien là, cette étrange chose qu’est une relation… thérapeutique…

Mais… existe-t-elle, cette autre vois/e/x ?