@Francois_Ruffin, appel d’air revitalisant pour la psycho du travail

« toute la tâche de la cure va être de parvenir à scénariser, à déplier, pas simplement à interpréter les contenus, mais à faire être dans des mots ce quelque chose qui est agi à l’intérieur même de la relation »

Laurence Khan, Fiction et vérité freudiennes…


J’écoute les bulletins (BDR) de @Francois_Ruffin et ce qui m’apporte comme aération psychique, c’est cette énergie débordante – dont j’aimerais bien comprendre le ressort psychologique de celle-ci d’ailleurs ! – qui l’anime.


Aparté…
J’ai lu l’Etranger de Camus parce que c’était l’un des livres préférés de mon père comme Dostoïevski qui était sa référence…
Je m’étais plongé à l’adolescence dans les œuvres complètes de Kafka, dans une autre forme d’absurdité sans certainement saisir les nuances de celle-ci… par défi… quand un jour, en allant à la Fnac, acheter des livres, mes parents me trouvaient trop jeune pour comprendre la Métamorphose… Verwandlung… le château, le procès, les correspondances avaient suivies… Je les ai tous lus… en français, en anglais, en japonais et même en allemand ! et un ami m’a offert une version coréenne de la Métamorphose…

Ce matin, nous sommes en juin 2019, ce que j’ai écrit sur @Francois_Ruffin « date » déjà un peu, c’est comme les brèves, les dépêches, « l’actu », ça a une DLC tellement courte…
J’étais sur FranceCul pendant un de ces nombreux déplacements qui m’amènent loin de chez moi.
Un truc sur Camus, le soleil (j’veux du soleil) et l’absurde… je crois que nos énergies viennent de là. Cette question tellement essentielle qu’est : qu’est-ce vivre… aimer… quand c’est tellement absurde de vivre ?


Être contre, vent debout face à l’adversité (on peut le voir à la tribune de l’Assemblée Nationale, en Commissions) passer pour un hurluberlu, porter une tenue de footballeur amateur, avancer des données concrètes (stats, rapports…), dénoncer les contradictions du gouvernement, embrasser la lutte face à des personnes bien pensantes de l’ordre établi.

Le parler « normal » sans respect des conventions – dixit la journaliste de C@Vous -, ce parler « ordinaire » me convient si bien. Je dis toujours que jargonner m’emmerde et que je veux faire des phrases avec un sujet, un verbe et un complément. Même si, il est vrai qu’il est important d’avoir un langage « technique » sans tomber dans le « technicisme » psy que j’abhorre.

Être psy, c’est se mettre à la hauteur des gens.
Parler le même langage. Leur langage. C’est ce que je dis lorsque de jeunes praticiens me demandent.
Notre position « haute » est inhérente à la position demandeur/demandé. Ce n’est pas parce qu’il y a le « soi-disant sachant », que nous devons être hautains et manifester du mépris pour les « petites » gens ou pire, être dans une compassion mielleuse de grenouilles de bénitier.
Qu’est-ce qu’il en a à faire mon patient ébéniste que je lui parle de névrose de transfert sur sa manière de tenir son pinceau de vernis ? Qu’est-ce que la conservatrice de musée que je reçois en a à faire du fait que je lui parle de son espace transitionnel quant à ses œuvres qu’elle collectionne dans sa réserve ?

C’est vrai, je déteste les conventions… Même si j’ai mis beaucoup de temps à m’en défaire… et l’habit ne fait pas le moine !

J’ai toujours pensé et agi avec cette idée arrimée au corps que la psychologie du travail était un sport de combats, qu’il était nécessaire d’avoir une lecture politique de notre action.
Car le travail est un lieu conflictuel par essence, un lieu de discussions et de controverses…
Que nous agissions en cheval de Troie, que nous enfoncions les murs avec des béliers, ou que nous gravissions des forteresses avec des échelles, ce que le travail convoque, c’est cette fichue subordination qui se transforme bien trop souvent en soumission.
Les « leviers » sont nombreux, quand celles et ceux qui sont en position de force (employeurs, cadres représentant l’employeur, chefs divers et variés) veulent et/ou sont contraints de « gérer le personnel ».
Mais au-delà, c’est aussi la soumission librement consentie qui est dangereuse, lorsque « l’on se sent obligé de », d’être « l’obligé de », car il ne semble pas y avoir d’autres issues… Il suffit de voir la « Cour » de la monarchie républicaine pavaner dans les médias…

Bien évidemment, toute personne un tantinet éclairé comprend que notre pouvoir d’achat a baissé. Que notre salaire est toujours le même depuis des années quand la part des 500 plus riches prend plus de 30% du PIB aujourd’hui… qu’en un an, leur richesse a fait un bon de 17 %. Qui a eu une augmentation aussi importante ? N’est-ce pas révoltant ?

Dans mon modeste travail, je m’épuise à devoir rappeler des banalités.
Rappeler des articles de Loi, rappeler que certaines choses sont encore possibles, que d’autres sont interdites… Des banalités comme les tabous, les interdits fondamentaux… puis, simplement nos droits et pas seulement nos devoirs.
De faire faire ce pas-de-côté qui consisterait simplement à regarder la même situation d’un autre angle, de trouver une autre manière de faire, qui pourrait aboutir à une rébellion mais en général à une transformation de soi…
Soutenir mes patient-e-s qu’attendre que quelque chose change « d’en haut » est une illusion, qu’il faut prendre sa vie en mains, fournir à chacun-e les armes psychologiques, juridiques, stratégiques pour lutter contre l’arbitraire…

Une présidente de Commission à l’Assemblée Nationale dit à @Francois_Ruffin que « le respect (des institutions) n’est pas son « core-business ».
Ben, moi non plus, c’est pas mon business.
Depuis quand le respect est un « business » c’est-à-dire une création de richesses ?
Euh… madame, j’applique 20% de TVA ?
Et, dites, quand dans la nuit qui précède la grande marche pour le climat, on fait reculer de 3 ans la sortie du glyphosate, ça, c’est du business… comme les privatisations et j’en passe…

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Le respect, c’est lorsqu’un maghrébin avec une grosse barbe bien fournie me consulte car il n’en peut plus des remarques racistes quotidiennes qu’il subit dans la rue. Que des personnes le filment ou hurlent lorsqu’il montre dans le bus. Qu’il prend sur lui, même très agacé, d’aller à la rencontre de ces gens, leur demander pourquoi ils crient ou ils le filment… Et qu’il se prend un vent ou un autre hurlement encore plus fort et qu’il les voit s’enfuir. C’est ça, le respect. Entendre que malgré ce climat social, lutter contre la violence de l’autre, aller vers lui, remettre de la parole, de la civilisation, sans tomber dans la réponse violente à la violence gratuite.

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J’ai envie de pouffer de rire devant la bouffonnerie ; ces moments politiques que nous traversons dont Twitter, miroir grossissant, montre si clairement… ; ce que je fais toujours avec mes patient-e-s – ramener la vie à un endroit où elle a déserté… – le bon Roi Dagobert ?
Or, je sais que je l’ai déjà entendu des centaines de fois, ce « core-business »… Que les cadres martèlent aux salarié-e-s en leur disant qu’ils ne sont plus rentables… qu’ils sont trop hasbeen… trop vieux… trop lents, trop handicapés, trop mères de famille, trop tristes, trop je ne sais pas quoi, trop basanés, trop… qu’ils doivent se mettre au goût… du jour… dont on ne sait pas d’ailleurs lequel…


Être psy et être du côté des Puissants, c’est tellement plus facile.
On va coacher le petit personnel pour qu’il se soumettre encore mieux… aux changements… par l’organisation « différenciée, partagée, participative et équitable » du travail… mort de rires…
On va aider à adapter les gens au travail et non le travail au gens… classique n’est-ce pas ?
Mais combien fournissent des ficelles stratégiques aux salariés pour se défendre, rappeler simplement que les Justes existent ? Que sous Vichy, tous les fonctionnaires n’ont pas tamponnés les papiers d’identité pour envoyer les juifs dans les camps.

A chaque fois ça ne marche pas. Bien évidement.
Mais ça marche quand même. Car tant qu’il y a de la vie, il y a du mouvement, il y a des possibles.
Mais il faut toujours remettre l’ouvrage sur le métier, reprendre ce combat. Comme le Sisyphe, remonter la pente à chaque fois, reprendre la route, re-, re-, re-…
Et cela peut lasser. On peut se sentir abattu face au travail à fournir, l’énergie à accumuler…
C’est là où @Francois_Ruffin est revitalisant.

Qu’il puisse, malgré l’adversité à laquelle il fait face, cette adversité qui se moque lui, qui l’ignore, qui lui reproche sa tenue (faut mettre une cravate et un costume dixit Jean-Louis Debré, mettre la chemise dans le pantalon, ne pas crier trop fort…) mener ce combat pour lequel n’importe qui aurait déjà baissé les bras.
Car il sait aussi qu’en face, ils ont un peu peur. Peur de la voix de la réalité. Car le réel est imparable. Le réel s’impose face à l’imposture. Même si, la manipulation permanente des mots permet de faire croire que l’imposture est le réel.
Lui, il avance.
Certainement avec une stratégie qui lui est propre.
Certainement avec une conviction profonde…
Certainement avec une énergie puisée dans les gens qu’il rencontre.
Mais ce qui est fabuleux chez lui, c’est qu’à l’inverse des politiciens qui captent la lumière pour se faire mousser, lui la renvoie. Une vraie preuve d’amour de l’autre. L’altérité comme posture.


Ça, ça me connaît. Je l’ai aussi au quotidien.