Un jour, soudain… le cadre prend la route

 

Les organisations sont dans l’obligation de se restructurer parce que certaines personnes affirment qu’il doit y avoir des économies à faire. Des économies réelles sur le coût et bien sûr sur le coût des salaires des travailleurs.
Exprès, je ne dis pas le coût du travail, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Puis, ces obligations sont travesties, édulcorées, refaçonnées par des mots communicants où bien sûr les dirigeants diront que ce n’est pas possible de faire autrement, que c’est triste, que c’est difficile. Même sur un non-sens total, sur un contre-sens morbide, ils trouveront des explications.

De là où je me situe, je suis à un endroit psychique où je peux connaître les effets de ces bouleversements organisationnels sur les personnes.
Et aujourd’hui c’est là où je me situe qui est confronté à ces décideurs.
Est-ce utile un psy du travail dans une organisation ? Quel est son coût ? Sa plus value ? Sa rentabilité ?

Pour moi, mon travail est utile à partir du moment où il permet de soigner les patients, son équipe d’appartenance et parfois son organisation. Le travail est ce carrefour où les choses peuvent s’établir, se réfléchir, se poser et se faire désirer/rêver. C’est aussi, fondamentalement le réel qui fait irruption à cet endroit, un réel qui pose toujours des problèmes à nos pensées… Toujours fortes dans la maîtrise et la toute-puissance…

Le coût, il est calculable… Du moins le matériel. La plus value est la santé. La rentabilité est discutable… Mais je ne suis pas un fast-psycho-meeting

Il m’est aussi facile de balayer ainsi cette appartenance institutionnelle là, parce que j’ai d’autres endroits de vie, mon nomadisme me permet de me projeter bien au-delà de mon pré-carré du ici présent maintenant maintenu par la force des choses et du temps.

Pour les personnes sédentaires, et je parlerai ici des « confrères et consœurs » psy, c’est une autre affaire…

Ils évoqueront des principes mondains. Permanence du cadre par exemple. Éternellement, le cabinet d’un psy doit être le même… Cela permet d’un côté de ne pas éveiller la curiosité des patients qui se « détourneraient » de ce dont pourquoi ils viennent nous voir. Cela permet de rassurer que cet endroit sera toujours là. J’ai envie de dire ça facilite la vie des psys… et encore ! Pour les patients, je ne saurais dire.

Puis, ils brandiront des grands préceptes… ConfidentialitéSecretsIntimités.. Des mots qui résonnent pour moi comme les mots des organisateurs… Pensées magiques, incantatoires, rassurantes pour l’émetteur, inaudibles pour les autres…

Après, ils diront des choses, ils répondront aux questions posées, car exprimer est plus important que taire… Parfois il vaut mieux se taire… Et comme tous les sédentaires et humains, en cou-lisse -prêt à être tranché comme ces oies qui montent la garde dans les fermes -, ils négocieront leurs places dans la place. Individuellement, dans le secret du repentir et de la confidence quand ce n’est pas la confession ou la trahison.
Les petits mots dits ci et là, déposés aux pieds des puissants, dans une odeur nauséabonde de la séduction, parfum de Bas-Empire décadence d’un monde déchu.

Chacun luttera pour préserver sa place ou avancera ses pions selon ses désirs à court terme, portant des œillères sur les autres, écrasés par les méchants avec lesquels en face on ne conspirera jamais… Mais pour qui, en off, on poignardera volontiers dans le dos.

Les psys sont comme tout le monde, des humains avec leurs propres désirs et leurs instincts de survie. L’apparence est souvent trompeuse, il ne faut pas s’y fier. Plus les sourires sont mielleux, plus la réalité est loin. Comme toute communauté, il y a les codes, les organisations, les puissants, les pensants, les savants, les sachants avec toutes les hiérarchies, les rancœurs, les histoires et les petits arrangements.
Les psys sont comme tout le monde. Nous nous racontons des histoires pour nous rassurer et assouvir nos instincts les plus bestiaux.

Il m’a souvent été rapporté que lorsque nous faisions ce « métier », ça devait être dur d’entendre les plaintes, la misère du monde… Oui, je l’ai dit ailleurs je deviens misanthrope et je ressens chaque jour les limites des petits êtres humains que nous sommes…
Des limites que nous franchissons parfois, en ayant des moments de fulgurances que seules, d’ailleurs, les traces nous laissent à reconnaître.
Les traces de l’histoire, les arts, les créations, la recherche, l’écriture… toutes ces choses pas très rentables… Dans l’immédiat…

De mon lieu à moi, je souris à leurs manipulations souterraines. D’autant plus que je n’y suis qu’à moitié, sédentarisé, juste le temps d’un transit.
Ce transit, cette capacité à ne plus être lost in translation – j’en ai aussi parlé ailleurs -, est aussi dû à mon expérience… mercenaire… Le salariat dans la profession, s’il permet de prendre une certaine assurance, un certain confort, jugule les mouvements et les espaces de liberté. L’esprit mercenaire a ses propres limites et ses propres difficultés – devoir toujours chasser de nouveaux contrats… -, mais il offre cette liberté de penser qu’il existera toujours d’autres lieux, d’autres mondes, d’autres horizons encore inexplorés, à investir.

Avoir plusieurs lieux d’écoute, avoir de multiples horizons, avec la complexité que cela peut engendrer, fait de moi un vrai nomade dans ma pensée comme dans mes rêves, je me balade facilement d’une chambre a l’autre, d’un lieu à l’autre, d’une maison à une autre, d’un övu à un autre, d’une église à une autre… Merci JB

Malgré cette pluralité des cadres de l’écoute, ce n’est pas le lieu qui impose la permanence… C’est ma capacité à la re-produire. C’est moi qui tient le cadre. Qui me déplace avec. Qui fait cadre…
La permanence de l’impermanence. Le cadre est le même mais il change de lieu. Une roulotte de voyante tsigane moderne…

Je vais finir par m’acheter un camping car pour y installer mon fauteuil…