color, dolor, Es !

 

Il y a quelques temps, les premières lueurs du printemps venant, la fenêtre de la Bastide s’était légèrement entrouverte. L’air frais et sec y pénétrait doucement, soulevant les légères écumes du voile blanc posé par la secrétaire.

Elle s’assoit, ne longe plus les murs, ose montrer ses formes, porter un haut plus décolleté, un peu plus échancré, malgré un épais foulard en flanelle noir et un carré de soie (soi ?).

De toutes petites lobes ornés de petites boucles, des lunettes grandes comme des remparts contre les autres regards, de jolis yeux découpés dans le ciel, un iris bleu vert satin, une jolie femme qui se cache… tout en dévoilant une sensualité sincère et altière.

Aux pieds qui dépassent, des petits mocassins qui décorent de jolis bouts de pieds raffinés, affutés, une très belle peau fine satinée, une jolie main manucurée avec une grande élégance, des petits doigts fins et souples…
Je n’ose l’imaginer enfiler un juste-au-corps (injuste au corps ?), frapper d’autres, les cogner, les castagner avec la hargne et la haine qui bouillonnent en elle comme les atomes de Fukushima que toutes les eaux de l’Océan n’arriveront pas à pacifier.

 

Je me trouve au pied de cette tour, belle blanche, laiteuse, lisse, ne laissant paraître aucune prise, impénétrable, insensible, invulnérable aux vents et aux tempêtes, aux mères déchaînées et aux pervers visqueux et bestials de douces voix maléfiques s’élevant des profondeurs des abysses.

Je me trouve au pied de ce mur, si blanc, si beau, si infernal, à entendre cette voix, chanter le même refrain de la maltraitance qui s’enroule autour d’elle-même, me figeant dans ma propre impuissance à trouver dans ce mur un trou, une faille, mon rêve, une fenêtre ! pour détraquer cette si belle mécanique musicale, cinématographique et holographique si parfaite…

Le même refrain qui, dans la défense répétitive, ne fait que reproduire ce qu’elle s’est imprimée, comme ce rouleau d’impression qui roule, se retourne, s’enroule, s’en retourne pour imprimer le même motif sur ce carré de soi, dont je ne cesse de chercher les erreurs…

 

Oui, mes « impressions » de couleur, ces choses étranges, funambules, merci François Gantheret, cela m’amuse de voir que les funambules sont toujours honnis de ces gens bien pensants qui ne voient le monde qu’à travers les étroites cases des fenêtres encastrées derrière les barreaux…
Si je ne voyais pas les couleurs, si je n’avais pas d’impressions, si je n’entendais pas la musicalité des inflexions, qu’écouterai-je ? les douces vagues hypnotisantes de ces voix doucereuses des sirènes stupéfiantes ?

 

Accompagnant la naissance d’une représentation dans notre esprit – ce qui sans cesse se produit, en particulier à l’écoute de ce que nous entendons -, nous sommes traversés par cette vibration qualitative. Nous n’en retenons rien d’objectal, seulement une coloration.

Impressionnés : et c’est par cette impression que nous communiquons sans barrière (de contact / de trace / de représentation / de langage) avec le monde dont nous participons. C’est à cette impression fugace, périphérique, éprouvée sans cesse mais négligée sans cesse, qu’il nous faut prêter, à laquelle nous avons à accorder suffisamment de confiance et d’importance pour qu’elle suscite l’acte de parole, inouï jusque-là, qu’est l’interprétation.

C’est une activité, je l’accorde, quelque peu funambulesque. Combien plus confortable est la posture « scientifique », qui table solidement sur des vérités déposées !

(…)

J’aimerais que l’on reconnaisse l’aptitude de quelqu’un à pratique l’analyse, non tant à sa « solidité », à son assurance, à son érudition, mais au contraire à sa fragilité, celle du funambule qui avance dans l’inquiétude de la progression de son pied sur le fil. Et que, de surcroît, cette fragilité soit joyeuse : l’esprit faux ne l’est jamais !

François Gantheret, Esprit faux, penser/rêver n°26.

 

Non, là, la fureur fait rage, derrière ce masque, ce faux air de déjà vu, dont les im-pulsions sont contenues dans une cage psychique de chasteté à castrer les plus gros étalons en fureur ! Or, derrière ce mur blanc, de la tour, l’incendie fait rage, cela devrait fumer de partout et pourtant… rien ne fait.

 

Attendre ? que les lueurs du soleil baissent et rougissent ce mur si blanc immaculé ?
En dire ? quoi donc ? que le mur lisse se polit au fur et à mesure que les voiles s’enroulent sur elles-mêmes et au fur et à mesure que s’égrainent les refrains de la même chanson dont l’air devient étouffant à force d’être polluée par les diverses maléfices ?

« C’est comme avant, n’est-ce pas ? » m’aventurai-je.
« Oui. »
« C’est… comme… souvent… »
« Toujours. »

Elle s’essuie les larmes qui colorent les joues de son maquillage léger d’aujourd’hui, des larmes qui ne parlent pas mais en disent long sur les fissures douloureuses qui sonneront peut-être le glas aux ombres doucereuses des sirènes stupéfiantes et hypnotisantes, voraces des pulsions morbides prêtes à dévaster, taire, mère et père pour plaire à celui qui, dit-elle, ne l’a jamais aimée.
Affirmation à laquelle la réponse n’attend pas d’être demandée.

 

Derrière elle, sous le voile de la fenêtre, perçait avec force cette lumière du printemps revenu. Partie, flottait sur son sillage la senteur d’un parfum que je ne connaissais pas.
Fermant les yeux, je l’ai imaginée dans les bras d’un autre, souriante et radieuse.

 

Et je me suis réveillé.