faire oeuvre ordinaire et commune, simplement… vivre !

 

Lutter contre la normalisation de la peur.

 

En janvier 2015, j’avais écrit que je continuerai de lutter.
Quelques mois seulement plus tard, je lutte encore et ne cesserai de lutter.

 

La dernière fois, mes patients étaient plus hébétés, fragilisés, atteints.
Cette fois-ci, quelque part, il y a un « encore ? »… « ça devait arriver… »
Comme si, la banalisation de la Chose était inéluctable.
Comme si, nous étions habitués à cette Chose exceptionnelle, cet état d’exception.

Tout de même, nous sommes en état d’urgence…
La France est en « guerre »…

 

Et c’est cette exception là, qui devient normale.
Des militaires présents dans la Ville comme une habitude…
Sous d’autres cieux, les militaires sont plus discrets voire… exceptionnels.
Il y a trente ans, je suis allé à Prague, c’était encore « derrière » le rideau de fer… Là, les militaires étaient postés tous les 300 m et j’avais éprouvé, enfant, une sensation étrange d’être surveillé.

Mais le totalitarisme communiste d’alors expliquait que là, c’était « normal ».
Aujourd’hui, à Paris, ils font partie du décor… normalisé…

 

Depuis ce vendredi 13, à chaque fois que je pénètre dans un centre commercial, je suis contrôlé à l’entrée, si j’ai un sac, je montre le contenu de mon sac. Si je n’ai pas de sac, je dois ouvrir mon parka.

Si j’étais en t-shirt, fouillerait-on mon caleçon au cas où ?
Présomption de culpabilité. Tension de terreur. Etat d’exception qui, quotidiennement, devient normalité. Normalisation de la peur. Moi j’ai peur de la normalisation.
Et d’autres fois, le matin, j’entre sans contrôle dans un lieu public, lequel même lieu public est « surveillé » à partir de 13 heures 30. Le matin, il n’y a pas de risque, l’après-midi il y en a un ?

 

En janvier 2015, j’avais écrit que j’étais de cette génération « heureuse » de n’avoir pas encore connu la guerre, seulement la crise économique, la précarité sociale comme menace psychologique, la fragilisation des tissus sociétaux, la désintégration des collectifs de travail, les migrations économiques et/ou de guerre présentées comme un envahissement… C’est pas mal… et ne parlons pas du réchauffement climatique, la consommation des denrées alimentaires à crédit…

 

C’est vrai… La simplification de la pensée est là : « Moins il y aura de migrants, moins il y a aura des descendants de migrants qui viendront tirer… ». Le Front National vient de franchir la barre des 40 % de voix aux régionales dans la Région du Nord-Pas-de-Calais-Picardie (NPCP) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA)… et est en tête dans six régions françaises… donc le Centre-Val-de-Loire…

 

La peur de la précarité cède la place à la peur de la misère (que j’ai eu aussi, la chance de ne pas encore connaître – ici, le « encore » est important, car la peur est là, elle peut frapper n’importe qui), la peur de vivre avec le peu, comme si, le peu était impossible à penser. Pourtant.

 

Le terrorisme sans média, sans cette jolie caisse de résonance, ne serait pas grand chose.

D’ailleurs, avons nous vu les attentats de Beyrouth de la même façon ?

Le spectaculaire emboîte le pas sur la sur-enchère du spectacle… régime d’exception… faisant la lie de la normalisation de l’exception.
Au-delà de l’exception. L’escalade.
Jusqu’où irons nous nous « battre » pour aller faire la guerre ?
Baudrillard le dit justement : « la guerre comme prolongement de l’absence de politique par d’autres moyens… » (Baudrillard, « Esprit du terrorisme »).

 

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Je veux continuer de penser. De peser aussi.

 

Penser l’impensé et non l’impensable, penser la répétition comme le mauvais spectacle de la vie.

Pourquoi sommes nous contraints à l’exception et pourquoi abandonner l’ordinaire ? Pourquoi oublier le « commun » ?

 

Le « normal » convoque toujours le normatif, la normalisation et la banalisation de la norme qui va avec. Ce n’est pas parce qu’un service est ISO9002 que je suis rassuré. Ce n’est pas parce qu’un produit est « ABCertified » que je le crois vraiment…

Je ne veux pas de cette banalisation de ce qu’est la barbarie, dont les attentats ne sont qu’un avatar comme un autre. La barbarie est chez nous, en nous. Elle n’est ni ailleurs, ni là bas, ni je ne sais où.

 

Ces terroristes, qui ont tué, sont, pour certains, des enfants de la République, ou du moins, de la démocratie européenne occidentale, si nous tenons compte des « belges »… tellement plus simple d’imaginer que nous serions envahis par des barbares… belges… comme une histoire belge… au-delà de la « barrière » des Ardennes par laquelle en 1940 la Wehrmacht a déferlé sur la France… contournant la ligne Maginot…

 

Faut-il aller « détruire » ce « foyer » d’où surgissent ces « fous furieux » qu’il faut « assassiner » pour ce peuple assoiffé de sang et de revanche, dans ces contrées barbares que sont ces territoires syriens et irakiens… Pauvre Mésopotamie, l’un des berceaux de l’humanité… Babylone… my baby is so… alone…
Ces territoires de l’ancien Empire ottoman découpées par les anglais, français et russes au début du vingtième siècle… dans lequel toutes ces sensibilités co-existaient… avec certainement des « heurts » ethniques comme dans toutes les multitudes, mais avec une certaine forme de paix et de respect des codes partagés.
Ces « fous furieux là », ces barbares, ne sont pas nés là bas, dans les sables du désert…

Non. Ils sont nés ici, en Occident, et connaissent tellement bien les codes de la vie d’ici… Ils sont français ou belges, bref… européens…

 

Alors ?
Qu’est-ce qui a raté dans leur éducation, dans leur construction identitaire, dans leur parcours de vie ? Dans le métissage, la multitude des cultures ?
L’article sur la « première jeune femme à se faire sauter en France » – information qui s’est d’ailleurs avérée être une intox – était éloquent… ne serait que son titre dans le quotidien « Le Monde », (Hubert Beuve-Méry, fondateur…) : « entre vodka et niqab« … Oui, c’était une enfant de l’Aide sociale à l’Enfance… une enfant de la DDASS…

 

La complexité de la situation est telle qu’il faut du temps pour penser le temps de ce mouvement sans fin qu’est cette fuite en avant perpétuel…
Quand est-ce que la France parlera de la guerre d’Algérie et de son colonialisme ?
Quand est-ce que la France parlera de 1961 ?
Quand est-ce que la France pensera les erreurs et carences de son système d’intégration au lieu de s’interroger sur les erreurs et les carences de ses services secrets ?
La radicalisation des jeunes ne peut avoir une seule et unique raison que chacun d’entre nous peut penser dans son soin.
Précarité ? Pauvreté ? Exclusion ? Racisme ? Humiliation ?

 

Pense-t-on ne serait-ce qu’une seule seconde à toutes ces personnes de confession musulmane qui vivent en France avec le respect des Lois du pays et qui, dans ces attentats/états d’exception/normalisation, ne peuvent que se sentir suspectés de collaboration ?
Pense-t-on à toutes ces personnes qui se lèvent tôt le matin, font plus de quatre heures de transports tous les jours pour nourrir leurs enfants en travaillant dur à des postes peu valorisés ?

 

Le massacre a déjà eu lieu.
Il est temps de penser aux causes des massacres à pré-venir. Certes, d’autres auront lieu.

Moi je suis du camp de la vie. Je hais le mortifère. Je ne peux m’en empêcher. Je continuerai de penser. Je continuerai ma lutte.

Travailler pour transformer le mortifère en vie.