l’enfant non entendu

 

Deux moments séparés d’une journée pleine, moments intenses où je me perds dans les méandres des émotions,
où ma fonction alpha est mise à rude épreuve, mise à terre,
soumise au regard inquisiteur qui attend et exige l’épreuve qui fera d’elle à mon regard « non mauvaise »,
puis soumise à un déluge tsunami de flots vociférants, dévastateurs qui ne cessent de se heurter aux murs de mon écoute, entendre sous ces cris,
ces enfants sacrifiés dans les abîmes de ce que les autres n’ont pu faire de mieux,
ces autres empêtrés dans leurs vies psychiques déçus par leurs impossibles séparations abandons et autres liens rompus…

Est il possible de penser qu’il y a un possible ?

Dans le parc, la petite fille gratte le sol avec un petit bout de bois.
Elle dessine des formes géométriques linéaires, puis les efface, puis des nuages, des patates.
Elle lève les yeux, triste, elle regarde autour d’elle, d’autres enfants qui rient, crient, courent.
Elle ne comprend pas.
Elle continue avec son bout de bois à dessiner dans la poussière, regardant les insectes qui traversent son dessin, en les laissant faire, en les observant. Sa maman, non loin sur le banc, est absente, perdue dans ses pensées, dans ses nuages…
Ce matin, sa maman n’a pas pris son médicament dans son pilulier qui traîne sur la table de la cuisine.
« Boîte à bonbons » qu’elle dit, qu’elle réclame au réveil lorsqu’elle n’est pas capable de se mouvoir.
Daphné ne comprend pas pourquoi ces médicaments que le docteur donne à sa maman sont « des bonbons ».
Mais elle a appris à ne pas poser de questions.
Elle se tait.
Elle continue ses dessins, le ciel se couvre, il va pleuvoir.
Les enfants continuent d’hurler, de courir, de rire, de s’attraper.
Quelques petites filles de son école viennent la chercher pour jouer, mais elle secoue sa tête.
Elle préfère gratter le sol et regarder la colonne de fourmis qui s’approche des miettes de pain de son repas du midi.
Elle ne comprend pas pourquoi sa maman ne sourit plus depuis longtemps.
Petite, elle regardait le mobile avec les insectes qui tournaient au dessus de son lit d’enfant. Multicolores, ces insectes chantaient dans la nuit.
Parfois, quand elle criait, sa maman venait lui sourire et rembobiner le moteur qui se remettait en marche.
Quand elle pleurait, certaines nuits, son papa venait aussi. Moins souvent.
Mais lorsque c’était son papa, le visage était souriant, il la prenait contre lui et la berçait un peu.
Mais cela n’arrivait pas souvent.
Presque jamais.
Sa maman lui avait dit que son papa était très occupé par son travail, qu’il ne pouvait pas être souvent là.
Puis, un jour, ça a été fini.
Un jour, son papa est parti à l’autre bout du monde.
Et sa maman s’est murée dans son silence, ses bonbons et ses bouteilles.
Devenue grande, puis maman à son tour, Daphné a compris.
Pourquoi son père était parti à l’autre bout du monde. Le travail avait alors bon dos.