la dame d’en face

La dame en face de moi, dans ce métro qui m’amène à la gare, égraine son chapelet en marmonnant des versets du coran.
Ses doigts bougent comme les bras articulés des insectes, puis s’arrêtent de manière impassible sur les pointes qui ponctuent son mouvement régulier.
Puis, une fois par tour, elle tire sur une chevillette pour énoncer une sourate certainement spécifique, dense et importante car elle inspire profondément avant d’expirer un grand soupir.

Je me demande souvent ce que les personnes croyantes de cultures éloignées de la mienne,
moi qui ai été qualifié tour à tour de mécréant (une ex-amie à moi), d’athée ou d’agnostique,
moi dont le polythéisme animiste est profondément ancré dans la structure de ma chair, prient.

Aujourd’hui, ce bas-monde humain ne laisse guère de doutes quant à son caractère anxiogène (pollutions diverses, sensations de fin du monde, violences quotidiennes au travail comme dans la rue, voire même au sein même de l’intimité du foyer…) et peut être est-ce mieux de rêver d’une autre vie (la suivante voire celle d’après ?) plus douce et moins dégénérée…

Pour moi, c’est lorsque cette croyance justifie pour une patiente que c’est dieu qui lui impose ces épreuves (une chef qui la martyrise, le décès de son mari qui la laisse veuve avec deux enfants en bas âge…), que c’est dans « l’ordre des choses » qu’il y ait des dominants et des soumis, que cela me dépasse.

Bien sur, intellectuellement, je peux comprendre… Mais est-ce acceptable d’entendre que la dégénérescence d’une société en déroute (dont la responsabilité humaine est criante, il suffit de voir l’évolution de la société française depuis 30 ans… ) ne serait que le signe d’un dieu qui souhaiterait nous mettre à l’épreuve ?

Il y a un an, l’Ile du Bonheur a été enseveli par les flots, rayés de la surface du monde par la Nature, fâchée contre les humains.
Cette fatalité là, je ne peux que l’accepter et l’admettre, nous ne pouvons que nous incliner face la puissance de la croûte terrestre qui éternue.
En revanche, les explosions nucléaires qui ont suivi seraient-elles des épreuves qui nous ont été soumises par un quelconque dieu ? Aurait-il donc orienté les ingénieurs à bâtir plusieurs centrales sur une si petite zone ?
Moi si j’étais le dieu du coin, je dirais que dieu a bon dos et qu’il en a plus qu’assez des conneries humaines…

J’aurais bien aimé entrer en discussion avec cette dame avec son chapelet, demander ce qu’elle réclamait à son dieu.
Je me suis abstenu, regardant sa main, marquée par le temps, les produits chimiques et les épreuves de sa vie.

écrit dans le métro, ligne 6 en allant vers Montparnasse…