sans titre… cent titres…

 

Ses yeux bleus, profonds, me troublent…

Sa voix remplit mon cabinet d’un vibrato sonore très sensuel…

Je réalise, bien sûr… L’irréalité de la chose…

L’immatérialité de la relation, l’artificialité de la situation.

Elle grandit à vue d’oeil… Elle s’est embellie, elle s’habille, elle me séduit.

Elle fait le ménage autour d’elle, elle se rend disponible à elle-même…

Mais je ne sais plus ce que je suis pour elle et cela me perd…

Et me perdre dans ce méandre là, me trouble et me fatigue…

Ses yeux verts gris, éteints, sa voix lasse, fatiguée d’être en survie…

Cela me tue.

Elle est belle, elle est triste, elle est éteinte.

Je ne me supporte plus de la voir ainsi, j’ai envie de la serrer contre moi, de la laisser sangloter.

De la rassurer que la vie vaut encore la peine d’être vécue.

Non.

Je ne la serre pas contre moi, mais je sais que je suis au bout de ce qui est pour moi, supportable.

C’est insupportable parce que ce dont elle a besoin, c’est de la vérité.

Du vrai, du concret, de sortir du virtuel.

Ses stratégies de défenses sont ce qu’elles sont, comme toutes les stratégies de défense… Mais les siennes sont redondantes… car indexées sur son travail qui est, par essence, ancré dans la virtualité.

Aujourd’hui, ramener du réel ne lui renvoie que de la violence et de la douleur, tellement elle s’est indexée sur la virtualité, l’apparence… Elle aime ce qui brille, elle aime ce qui est beau, elle aime la superficialité, le réel est ailleurs…

La violence du virtuel s’est intégrée à son fonctionnement.

Pour elle, je sais encore ce que je suis. Je suis « ce » docteur qui va peut-être la sortir de là, l’une de ces rares personnes à la croire vraiment, à la soutenir, à être présent. Trop présent, peut-être même… Une présence inquiète… Mais présente.

Ses yeux bleus verts, scintillants, brillants, lumineux…

Elle a fondu. Elle a perdu pleins de kilos (plus de 15…), elle envoie balader tous ceux qui « la faisaient chier », elle refait du sport… Elle sort, elle s’habille, elle se fait belle… Elle part en voyage, elle revit.

Il y a encore quelques mois, elle était au fond du trou, mal habillée, mal dans sa peau, mangeant beaucoup, ne sortant plus. Une grosse déprime…

Elle est terriblement mignonne, vraiment c’est le terme.

Là, elle est devenue belle, femme, sensuelle, en forme…

Et elle s’en va. Elle me dit qu’elle va beaucoup mieux, grâce à moi mais que là, ça va.

Au fond de moi, bien évidemment, je n’ai pas très envie de la « perdre », cette séparation là est douloureuse, mais ne sommes-nous pas ces passeurs là qui ne font que passer d’une rive à l’autre, évitant les crocodiles, les hordes de piranha et d’hippopotames ?

Ses yeux gris me mangent littéralement, même si elle s’interdit de me manger tout cru sur ce bureau, ouf, il y a ce « maigre » rempart entre nous.

Je la trouve jolie, il est évident que je lui renvoie cela…

Elle me parle de tout et de rien, elle me demande l’autorisation de me parler de tout et de rien. Non, elle ne me parle pas du tout de tout et de rien, elle a besoin de savoir… si elle peut encore plaire… ou plutôt, si elle peut me dévorer (des yeux) et est-ce que je vais continuer à me laisser faire sans que cela ne soit vrai ?

Ses yeux bleus gris…

Je pourrais énoncer, ainsi, toutes les situations, comme ces perles sur un chapelet… comme un incantation.

La donne ne changera pas.

Elle ne changera pas, parce que ces situations là sont fréquentes et je dirais même… banales. Mais si je les considère comme banales, elles ne m’affecteraient pas tant.

Et là, je suis pris.

Je suis pris dans un piège qui ressemble étrangement à une impossibilité de penser. Impossibilité de penser parce que l’issue ne peut pas être pour certaines de ces situations, une issue personnelle.