savoir ne pas interpréter…

Quand j’étais jeune professionnel, au début de mes petits pas de psychologue, j’étais fasciné par ma capacité à « interpréter ». D’ailleurs, la formation de psy nous amène, si nous sommes un petit peu curieux, à être d’excellents voyeurs arrogants et savants (pour ne pas dire observateurs).

J’étais pris d’une grande satisfaction dès que je voyais ce que j’avais appris ou lu se mettre en mouvement devant mes yeux, lorsque la réalité collait à la théorie. Et en plus ! ça marchait.

 

Puis, un jour, le réel se rebelle et nous envoie en pleine poire que notre « interprétation », notre « perception » des choses, notre monde imaginaire, notre représentation des choses ne sont pas justes.

Et là, je trouvais cela terriblement injuste que l’autre ou les autres ne puissent pas comprendre la justesse de mon interprétation.

L’attribution externe, moyen de défense très efficace, pouvait venir à mon secours et me faire pester : « qu’est-ce qu’ils sont cons, ces professionnels ! » ou, plus élégamment dit : « qu’est-ce qu’ils résistent à mon interprétation ! »

Tellement plus simple de croire que moi je sais, l’autre ne peut pas savoir pas. Si nous sommes « censés » savoir pour l’autre, cela ne veut pas dire que nous savons. Cette réalité est la ligne la plus importante sur laquelle il nous faut nous arquebouter.

L’autre a le droit de croire que nous savons ce qu’ils ne savent pas encore… Mais nous, nous devons savoir que nous ne pouvons pas savoir. Faute de quoi, il y a une telle violence interprétative et si forte emprise que l’autre ne peut pas se délier (il faut lire Piera Aulagnier).

 

Mais ! et c’est bien ce « mais » là qui me préoccupe, c’est qu’il faut parfois dire aussi. Car à trop vouloir s’arquebouter sur cette « ligne », nous serions amenés à nous fixer sur une autre attitude, celle de nous murer dans notre silence.

Cette éternelle représentation stéréotypée du psy qui ne dit rien. Deuxième défense efficace du psy, après celle de la moi-disant(e) résistance de l’autre.

Or, ce silence, vidé de sens, ressemble souvent à la mise en scène de la mort, ou du moins, de l’envahissement de l’espace par le mortière.

 

Aujourd’hui, je me rends compte à quel point il est important de ne pas trop laisser envahir un espace de penser/ées par ce mortifère, tellement l’environnement (au sens large du terme) en est rempli.

Du coup, il m’est donc nécessaire, pour maintenir du vivant, de « dire » les choses, de nommer les choses, d’apporter du rire, de l’insouciance, du rêve/ries…

Et en même temps, ne pas trop dire… Dire juste ce qui permet à la pensée de cheminer, dire juste ce qui permet au vivant de revivre, dire juste ce qui est entendable par d’autres, non pas trois mètres au-dessus, mais seulement à portée de mains de l’autre… dire le juste.

Mais c’est quoi, au juste ?

 

J’étais parti sur le chemin de la patience… Je suis arrivé au chemin du juste. Parce que pour reconnaître le juste, il faut du temps.

Le juste pour l’autre… Juste à temps.

Etrange jeu de mots pour celles et ceux qui savent ce qu’est le just in time…