western spaghetti

Il s’assoit, il a bonne mine, il a repris du poids. Il va manifestement mieux.

 

L’institution qui l’employait alors, comme l’équipe qu’il dirigeait, le considéraient comme un cadre maltraitant, celui qui martyrise tout le monde.

Cela serait si simple si notre monde professionnel pouvait se résumer à ce manichéisme binaire, à un western spaghetti où d’un côté il y a les « gentils » et de l’autre « les méchants ».

C’est vrai qu’il a fait des erreurs. Mais qui n’en fait pas ?

C’est vrai qu’il a été maladroit. Mais qui n’est pas, à un moment donné de sa vie, maladroit ?

C’est vrai qu’il aurait pu faire autrement.

Mais avec des « si », nous vivrions dans un monde parfait.

 

Son équipe était maltraitante à son égard, par son incapacité à penser le travail tel qu’il est, dans sa complexité et les mobilisations subjectives qu’il exige.

Son institution était bien contente de l’avoir trouvé, à un moment donné où elle ne souhaitait plus penser/panser les blessures que ce service avait subi.

C’en était trop pour elle, ce n’était pas très grave, ce petit bout de l’institution isolée dans un coin du territoire. Ce n’était pas grave, ça tenait.

 

Les sonnettes d’alarmes avaient été tirées, mais jamais entendues, ou plutôt, la sonnette avait été étouffée et n’avait pas pu réveiller toutes les consciences endormies.

 

Moi, les directeurs m’avaient appelé en urgence, de toute urgence, pour que je puisse intervenir le lendemain pour la veille, il y avait le feu, tout allait sens dessus dessous, c’était l’horreur. Oui, mais l’horreur avait démarré pour cette équipe, dix ans avant. Pendant dix ans, cette horreur n’était pas urgente. Et puis, tout d’un coup, comme ce refoulé qui revient, cela explose. C’est tellement plus simple lorsqu’il est préférable de trouver un mauvais objet bouc émissaire…

 

« Je vais mieux vous savez… Je n’ai pas perdu ma capacité à travailler. J’ai pu faire pleins de choses depuis que je vous ai vu. »

 

Et il dépose devant moi, le dernier rapport qu’il a écrit.

« Ca m’a permis de me rendre compte que je n’étais pas nul, que j’étais encore capable de créer. Je pensais à un moment donné que je ne savais plus rien faire, que ce n’était pas possible que je reprenne un poste d’encadrement… »

Je ne crois pas aux « hasards »… Il y a un temps pour tout. Il a candidate à un poste, ailleurs, il a été reconnu pour ce qu’il a donné à voir et ses compétences.

Il a été reçu et est parti, la tête haute, avec les félicitations de ceux qui le pensaient maltraitant.

« Mon psychiatre et m’a psy m’ont dit que j’étais sur la bonne voie. Que j’étais en train de me reconstituer. »

Moi j’entends qu’il réalise que son identité détruite par le travail est en train de se reconstruire par le travail.

—–

Quelques jours plus tard, il me rappelle, il a lu le document que je lui avais remis, il est consterné. Pendant une demi-heure, il se déverse sur moi.

Je l’écoute, j’entends les cris, les pleurs, le petit garçon qui autrefois tapait du pied, il part dans tous les sens, le passé est revenu à vive allure, tout est comme hier.

Le revoilà plongé dans son futur antérieur…

Il n’a pas tout lu, même s’il dit avoir tout lu attentivement. Non ce n’était pas possible…

Il a cherché à trouver ce qu’il souhaitait entendre, lire, il pensait que les choses avaient changé et auraient pu changer… grâce à son témoignage et notre baguette magique.

 

Je crois toujours au père Noël. Et vous ?