Enlever le mot de la bouche

 

Cette expression parle d’une situation où son interlocuteur énonce une idée qui pointait son nez en moi et que je souhaitais exprimer.

Pas primus inter pares si l’autre exprime ce que j’ai voulu énoncer avant que je n’en ai eu le temps de le faire… Petite blessure narcissique de disparaître un instant de la lumière de la rampe…

Depuis quelques temps, je me surprends à être ainsi avec moi-même… De l’autre côté du fauteuil.

—–

Les patients me parlent et au fur et à mesure que les mots s’élancent, les mots suivants me surviennent.
Cela me rappelle bien sûr la fameuse histoire de télépathie de Freud, mais n’est-ce pas simplement le fruit de l’expérience ?
L’idée suivante me vient, par anticipation. La poésie exigerait que j’écrive « comme par enchantement ». Bien sûr, je la tais et elle sort par la bouche des patients…
Comme si les Idées suivaient une ligne que je suis à même d’entrevoir comme on voit au loin une ligne de chemin de fer…

Ce que je ne m’explique pas, c’est cette fameuse télépathie chez Freud.
Dans son genre, il s’est voulu homme de sciences, rationnel, luttant malgré lui contre les superstitions.
Au regard du nombre de personnes soignées, son expérience est grande. N’est ce pas simplement l’accumulation de la bouteille qui nous permet d’anticiper ces choses ?
Les Idées auraient un ordre dans « l’âme », une logique de succession qui obéirait à une règle implicite ?

Pris d’un autre angle, la médiumnité pourrait peut-être expliquer les choses ? Avoir accès à d’autres dimensions que la réalité – les possibles du réel dépassent la réalité du temps présent – utilisation, dans la langue française, du futur antérieur -, permet-il d’expliquer ?
Quand j’étais enfant, je pouvais affirmer quelque chose et souvent si je ne pouvais l’expliquer rationnellement, je pouvais dire que j’avais raison et que j’en avais là certitude. Arriver à lire… Magique…

La télépathie freudienne, la médiumnité, le romantisme… Douloureuse rationalité qui nous empêcherait de penser toutes les dimensions.
Moi qui vient de loin, – de près, dirait Pontalis, – d’une culture différente d’ici, le « son » de cloche frappe différemment mon esprit.
Si le vide n’est pas vide dans le sens du néant – je ne citerai pas Cioràn mais j’invite à le redécouvrir -, mais vide dans le sens du plein d’espaces vides, les espaces « vides » d’entre les mots sont pleins de sens qui dépassent le vide…
Associations libres diront d’autres… En soulignant que le trait d’union libre entre les mots évoque autre chose que le trait… Mais l’union… en liant, oblige au choix, certes libre de choisir, mais le choix condamne à un lien… continuer de rêver ou de se laisser rêver…
J’en ai rien à faire de la métapsychologie puisqu’elle doit être fondue dans le corps / corpus de nos agirs pour œuvrer…
Mais pour une fois… je vais m’obliger à aller plus loin…

Si l’association libre n’est libre que dans le choix de la liaison, qu’en est-il alors de ce qui n’est pas évoqué, énoncé, dit, exprimé, tu dans le lien même ?
« Vous comprenez docteur ? » « C’est compliqué à expliquer. » « Je t’ai perdu… » Mille fois j’ai déjà entendu cela. Comme si, le fait que je m’en étonne était le début de la perte et l’émergence de nouveaux possibles jusqu’ici impossibles voire improbables…
« Si même le psy ne comprend pas… » (Je ne dis pas « ne sait pas »)
Tu ne me comprends pas mais je peux exister, tu sais que tu ne comprends pas mais tu ne me forces pas à expliquer… Je suis différent de toi. Mais je suis accepté dans la différence… Altérité.

Donc. J’existe parce que tu ne me comprends pas.