je n’entends plus…

Bien sur, ce n’est pas une cécité auditive réelle, mais ma dose d’empathie a fondu en quatre semaines, celle qui s’était renforcée au soleil et à la mer.

Là, elle a disparu.

La conséquence, immédiate, est sans appel. Je n’écoute plus, je me protège, je prends des notes, je ne suis plus là.
Quand je me mets à écrire, moi qui n’écris jamais, c’est que je ne suis plus là. Je suis parti ailleurs, je m’évade, je me promène dans mes contrées intérieures, je rêve…
Et pourtant, c’est parce que je rêve que je peux revenir sur le terrain du travail, parce que je peux prendre ce recul nécessaire pour ne plus buter sur ce que la personne m’apporte…

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Ce matin, c’était le cas. Elle me fait souffrir intérieurement car la situation, avec laquelle elle est venue, est intolérable… Mais l’Intolérable est aussi ailleurs, coincée dans une coquille, un cube en cristal, elle scintille mais ne se montre pas.
Combien de couches de défense devrais-je forer pour atteindre ce ver(s/t)-lui-san(s/t) avec la transposition des « t » et « s » ? Je le sais présent, je fais le tour…
Je fais une tentative…
« Cela fait quelques séances que vous venez et que vous ne parlez pas beaucoup » dis-je.
Elle se tourne vers moi.
Puis se met à parler d’autres choses… Quelques mots… La maman jamais présente… Elle maman, toujours présente… L’âge… La maternité de sa fille et les conséquences… La séparation d’avec ses enfants… Puis la musique revient… L’odeur de là-bas, la chaleur du soleil, la saveur des fruits…

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Cette patiente, je me suis rendu compte depuis quelques temps, est encore une jeune adolescente ? voire jeune fille dans le corps d’une maman de deux enfants dont l’ainé a 15 ou 16 ans.
Aujourd’hui elle était de toute rose vêtue… Soumise à la voix imposée par son père, elle exerce le métier qu’elle devra bientôt abandonner, le corps ne pouvant plus, le corps ne voulant plus, le corps n’acceptant plus d’être maltraité…
Son corps n’accepte plus les maltraitances infligées et, je pense, lui ouvre un champ de possibles… Non encore explorées, vierges, infinies…
Mais est-ce par là qu’elle ira ?
Qu’en sais-je aujourd’hui de ce que son deux-mains, qui ne peuvent plus la sou(s)tenir, deviendra ?

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Je l’ai en effet déjà rencontrée.
Mais je ne me souviens de plus grand chose, ma mémoire si efficace par ailleurs, m’a lâché.
La bouteille c’est bien, cette perte de mémoire temporaire est compensée par ce qui m’arrive…
Chaque séance est une nouvelle séance qui ouvre sur un autre champ de possible, de nouveaux horizons…
Bien sur, au bout de quelques minutes, le tempo, son phrasé, ses mimiques, sa tonalité me rappellent…
Elle parle toute seule. Bah, chez le Psy, c’est un peu normal… Mais elle parle seule… À elle-même, comme pour se convaincre que ce qu’elle dit est vrai… Qu’elle vit bien dans ce monde, dans ce réel et non dans une contrée imaginaire… Et pourtant… Ça serait bien… De s’y réfugier…
Puis j’associe, pour la n-ieme fois de la journée, pour tenter un contournement… À force de contourner, je commence à être usé…
Puis, mon association me mène sur une note étonnante, cette dissonance que je relève et je la vois qui commence à rire et à s’illuminer, arborant un grand sourire.
« Ah, ça alors… Je n’avais même pas pensé. Une chose si simple ! »