et pourtant…

Elle m’emmerde… Elle me chie dessus.

A chaque séance, c’est la même rengaine.

Elle se déverse, elle se vide, elle me refait toute sa vie.

Elle me raconte tous ses malheurs, son enfance, à l’école, au travail, la naissance du fils, le père du fils, le fils du père, sa taille, son poids, ses boutons… tout y passe…

C’est vrai, elle est moche.

C’est vrai, elle ne veut pas se mettre en valeur…

Elle est mal fagotée, mal dégrossie, elle s’étale sur le bureau…

La petite souris dans la roue qui tourne, qui tourne, qui tourne… Coincée, elle tourne en rond, elle court, elle me refait la même chanson.

Pourquoi vient-elle ? Que me réclame-t-elle ?

 

Et pourtant…

Malgré qu’elle me fasse chier…

Malgré le fait qu’elle m’emmerde à me chier dessus…

Malgré tout, je sens bien qu’il y a bien, quelque part, dans cette « ronde », un espace, une faille, une lumière qui peut interrompre…

Et je guette… Je guette tel le chasseur, dans ce flux intense et malodorant où elle me poustillonne en parlant, si je ne peux pas saisir quelque chose… Elle ne me laisse pas le temps de rêver, de m’évader dans le tableau kaléidoscopique de mes rêveries, de mes images, de mes représentations… où je peux aller loin et revenir…

Non. Avec elle, c’est le qui-vive de l’instant, c’est la survie de l’immédiateté.

Alors je guette…

Puis, tout à coup, je me prends en main, j’écarte la merde dans laquelle elle m’a déjà étouffé et où elle veut m’engloutir, m’achever, m’éliminer, m’éjecter…

Et j’alimente la relation pour pouvoir arrêter son flux et établir autre chose…

A la manière de Chihiro quand elle va vider le dieu de la rivière englouti sous sa tonne de merdes toxiques déversées par les hommes…