pfiou, pfiou, pfiou… et puis, plus rien

 

Lundi 8 octobre

L’homme était assis sur ce fauteuil.

Il écoutait. Parlait peu mais relevait quelques mots. Ci et là.

Tout à coup, elle s’est levée, souriante, sortit un pistolet avec un silencieux et pfiou pfiou pfiou.

Elle ne lui a pas laissé le temps de dire ou de faire quoi que ce soit. Les balles silencieuses avaient transpercé les tissus de ses vêtements, son corps, les autres morceaux de tissu, le tissu du fauteuil, sa garniture, l’armature en bois, retranspersé le tissu du dos du fauteuil et s’étaient enfoncées dans le mur. Impacts.

Le fauteuil s’est mis à se colorer en rouge carmin.

Elle sortit une cigarette, l’alluma, inspira une grande bouffée pleine de soulagement et sortit.

 

Mercredi 26 septembre

Elle avait étudié le sujet. Elle l’avait déjà rencontré à plusieurs reprises prétextant une consultation. Il l’avait religieusement écoutée, elle avait joué le scénario que son coach lui avait appris.

« Vous verrez, c’est facile. Soyez douce et minaudez. »

Elle n’aimait pas minauder. Ça ne faisait pas partie de son portefeuille de compétences lui avait dit son ancien mentor.

« Une tueuse, ça n’a pas besoin de minauder. Ça a besoin de sang froid et de classe. Tu peux aguicher ta cible mais surtout ne te laisse pas envahir par tes émotions. »

Cet homme, sa cible, elle ne comprenait pas pourquoi ils voulaient le liquider. Son dossier était vide, son pouvoir tout autant. Mais l’expérience lui avait appris à ne pas poser de questions mais à agir.

Elle avait repris rendez vous début septembre, elle était allé le voir. Un homme charmant, les yeux brillants perçants. Des yeux de ceux qui ressentent et comprennent.

Son supérieur l’avait prévenue. « Il est très fort et sa puissane réside dans son regard. Comme tous les ascendants scorpion. Méfies toi. Ne le regarde pas trop. »

La Machine avait sorti en quelque secondes toutes les données sur sa vie. Un homme « normal » sans aucun doute. Le service des écoutes et de la géo localisation l’avait suivi. Un parcours régulier, monotone, presque répétitif. Rien qui ne sorte de l’ordinaire.

« C’est ça qui cloche » lui avait dit son boss. « C’est pas normal que ça soit si normal. » De toutes les manières normal ou pas normal, ça ne pouvait être autrement. Tout devenait un bon argument exécutoire.

 

Lundi 24 septembre

L’homme était assis sur ce fauteuil.

Il écoutait. Parlait peu, évidemment. Mais posait quelques questions.

Ci et là.

L’homme en face de lui, assis lui aussi dans le fauteuil, racontait.

Sa voix était saccadée, le regard terrifié, il regardait autour de lui.

Animé par une peur profonde.

L’homme qui écoutait lui posait des questions.

Lui évoquait des paysages inconnus, calmes, déserts.

L’autre parlait de lui, de son travail, de ses collègues, des espions qui l’écoutaient. « Pourquoi moi ? » disait-il.

La pensée de l’homme assis dans le fauteuil partait vers d’autres cieux, des bleus, des rouges vermillons, des roses étoilées, des verts bleus azur…

La rêverie seule pouvait le ramener à sa réalité, à la réalité, à ce qui était vrai et non dans les images de l’autre.

« Ils me surveillent mais je ne sais pas pourquoi ».

Pensées persécutrices, angoisses paranoïdes, se disait l’homme dans son fauteuil. « Il serait à interner s’il n’était pas socialement adapté. » avait-il confié à un confrère.

 

Mercredi 19 septembre

« Je ne pourrais pas venir vous voir. » lui avait-elle dit. « J’ai un empêchement. »

« A lundi. Même heure. », lui avait-il répondu et avait raccroché.

« Ah… Elle se fait désirer. Elle résiste à quoi ? Cela fait deux fois. » s’est dit l’homme sur son fauteuil.

« Ça marche comme prévu. » s’est-elle dit en reposant le combiné. « Il ne se doute de rien. »

 

Lundi 17 septembre

L’homme dans le fauteuil restait perplexe. Pourquoi était il envahi par des craintes qui, au premier regard, étaient infondées ? Des images de meurtres, de barbaries, de hordes sauvages balayant la plaine, envahissaient son esprit.

Qu’est-ce qui, dans ce qu’il était amené à découvrir, était de son propre monde intérieur, habité par d’étranges créatures et qu’est-ce qui était propre à ce qu’il découvrait avec cet homme qui était venu le voir ?

Il savait, sensible aux ombres, que quelque chose se tramait dans un coin.

Il avait soulevé les tableaux de cette pièce, par simple curiosité.

Il n’y avait rien.

Les nouvelles technologies permettaient de s’affranchir des vieilles techniques d’espionnage vues dans les films de sa jeunesse.

Maintenant ces téléphones mobiles qui ressemblent de plus en plus à un ordinateur avait la puissance de calcul des ordinateurs d’il y a vingt ans.

Des merveilles de technologies qui peuvent à l’insu de son utilisateur le suivre via les triangulations GSM, le GPS… Ils pouvaient même activer son micro à distance pour écouter l’environnement sonore du téléphone.

Le numérique avait entre temps révolutionné le monde, des hommes et des femmes cherchaient leur conjoint à l’autre bout de la planète, tchattait comme s’ils vivaient dans la commune voisine… Comme au temps des petites annonces sur la feuille de chou du quartier.

 

 Lundi 10 septembre

Il faisait beau ce lundi là.

L’automne n’était pas encore arrivé sur la capitale et il pouvait humer l’air des jardins sous la chaleur de l’été indien.

Il était serein, le travail d’écoute avait repris il y a seulement quelques semaines, l’énergie emmagasinée pendant l’été faisait encore son effet et le maintenait dans un état de forme bénéfique.

 

La semaine passée il avait reçu un coup de fil professionnel sur son téléphone qui indiquait la venue prochaine d’un homme à son cabinet d’écoute.

L’amie qui l’adressait lui avait déjà parlé de sa problématique et de ce qu’il pourrait certainement faire pour l’aider.

Cet homme l’appelait en lui demandant de le rappeler sur un autre numéro. Apparemment l’un avait encore des crédits en forfait, l’autre était épuisé.

La voix de l’homme au téléphone, franche, claire et simple le surpris. Il ne s’attendait pas à cette intonation là.

 

Il prit rendez vous pour la semaine suivante, sur un créneau laissé libre par une annulation d’un rendez vous.

La femme élégante, charmeuse. « Hystérisante » s’était-il dit.

 

Mercredi 5 septembre

Une femme avait appelé la veille. Elle souhaitait prendre rendez vous. Elle avait quelques soucis à son travail.

L’homme dans le fauteuil lui avait communiqué le lieu, la façon d’arriver jusqu’à lui.

Quand elle est entrée, il l’a observée. Un parfum assez embaumant, sirupeux, un corps svelte et bien proportionné, une sportive.

Elle parlait de tout et de rien.

Sa demande était trop surfaite, trop prévisible.

« Cela ne se passe pas bien avec mon supérieur hiérarchique. Il me harcèle avec des coups de fil à n’importe quelle heure. »

Qu’avait-elle mis en place pour se protéger ? Rien.

Que faisait-elle pour l’éconduire ? Rien.

Cela sonnait faux à l’homme sur le fauteuil.

 

Épilogue

Bang bang, I shot you down

Bang bang, you shot me down

Bang bang, that awful sound

Bang bang, I’ve used to shoot you down.

(Nancy Sinatra, « Bang bang, my Baby shot me down »)