écoutez ma farandole

 

Tu as changé ta chaîne ?
Oui, on me l’a offerte.
Ouah. Un amoureux ?
Non, une visiteuse.
La nuit est habitée… En ce moment.
(Sourires)
Oui, elle me dit que ses nuits sont plus belles que ses jours.
Elle a peut être raison ?
Qui sait.
Elle est belle.
Si tu le dis. C’est symbolique pour moi.
Je comprends. Elle brille. Elle vibre. Elle chante.
Pour moi, oui. Je ne sais pas pour les autres ce qu’elle fait.
Si si, je t’assure…

Et toi ?
Moi ça va. Quelques soucis.
Ah bon ? Au travail ?
Oui. Comment tu as deviné ?

C’est mon chef.
Toujours le même ?
Non, une autre.
Ah. C’est une femme ?
Oui. Elle est très jolie. Plus jeune que moi.
Si le plastique faisait la qualité d’une cheffe, je pense que Zhang Ziyi serait Présidente de la République populaire de Chine.
(Rires)
C’est mon psy qui me complique la vie.
Ah bon ? Ton psy ? C’est quoi le rapport ?
Il me demande d’essayer de comprendre pourquoi cette femme me fait tant d’effet et qu’est ce qui fait qu’elle me maltraite.
(Rires)
Et donc ?
Ben, j’en sais rien. Je me suis dit que tu avais peut-être une idée.

C’était sympa l’autre soir.
Oui. Tu t’y fais à ta nouvelle vie ?
Je n’ai pas changé. Je vais bien.
Je ne comprends pas.
Ce n’est pas grave tu sais. Beaucoup n’ont rien compris. L’image s’est brisée.
Normalement…
Normalement, chacun vit les choses à sa manière… Et entendre cela peut être compliqué pour tout un chacun… Ça ne s’apprend pas d’entendre et d’écouter. Je finis par penser que ça, on l’a où on ne l’a pas. Mais ça ne s’acquiert pas.
Et pourtant…
La Terre tourne et y en a pleins qui pensent faire ce métier… Etre ce métier…

Tu vois les gens autour de nous ?
Oui mon amour.
Ils sont gris. Je ne peux les imaginer faire l’amour ensemble…
Elle s’esclaffe.
Winter is coming, my darling.
Winter has come, my dear.
Puis, doucement… Ils se tiennent par la main
Parlent du lendemain
Du papier bleu d’azur…

Elle parle… Toujours avec une inventivité étonnante, les variations Goldberg à côté semblent être un quelconque camaïeu. À chaque fois la même mélodie, parfois saccadée, parfois en trottinant, d’autres fois en mangeant, marchant, faisant l’amour… Au réveil, dans les rêves, dans le métro, sur le lit ou sous la douche, la même mélodie. La mélodie dramatique d’une vie qui s’est rompue a l’aune de l’impossibilité d’être aimée par/de son père. Et chaque événement de sa vie, chaque émerveillement de l’instant, reviennent à cette impossibilité, questionnée, requestionnée, réquisitionnée, omniprésente, débordante, fracassante.
Parfois, l’interprétation – musicale j’entends – est si lumineuse que je pourrais en être ébloui. Parfois l’interprétation est si glauque que j’ai envie d’en vomir. Parfois, l’interprétation est tellement fade que je m’endors.
Des heures et des euros dépensés à chercher Celle ou Celui, l’Autorité Suprême qui sanctionnera et reconnaîtra que l’Impossible doit être transformé, taillé en pièces, jeté en pâture, cloué au pilori.
Des heures et des euros dilapidés en analyse et thérapies de tout genre, de papillonnage en papillonnage, d’hommes en homme, d’impossibles en impossibles, de fleurs en fleurs, de pierres en pierres, d’arbres en forêt.
Et, pourtant, elle avance.

Ecoutez moi.
Mais je vous écoute, madame. Il range ses affaires.
Ecoutez moi.
Oui ? Il trie ses papiers, remplit un questionnaire de satisfaction sur son ordinateur, décroche le téléphone qui sonne.
Elle fulmine dans son coin.
Bon, je crois que je vous dérange.
Elle se lève, elle sort.

Vous voyez là bas ?
A l’ombre de l’aulne ?
A l’aune d’un autre instant ?
Ne riez pas. Je ne plaisante plus.
J’ai ouvert le transat, je m’y étais installée.
Les oiseaux chantaient encore, même si l’hiver venait.
La fraîcheur chassait la douceur du soleil sur le sol.
A quoi pensais-je en regardant au loin, dans ce soi-disant « vide » ?

Je ferme les yeux, je ne sais plus où j’en suis mais je crois que je suis encore là.
Las aussi. De toutes ces simagrées
que je vois dans ces réunions idiotes
où l’essentiel est là où les choses ne se disent plus.
Elle dit qu’elle y fait ses courses.

J’arrive, c’est jamais prêt. Il a tout le temps lui.
Se préoccuper. C’est signe d’amour non ?
Avoir la préoccupation de l’autre, anticiper.
Mais ce n’est pas possible. Oui. Il pourrait, non ?
Il ne veut pas. Il ne peut pas ?

Je ne sais pas.
Parler d’amour. Ecoutez.
Ute Lemper chante lentement…

Le lendemain n’est jamais aussi beau que le jour précédent,
quand la veille a disparu dans l’antre de l’autre.
L’autre, le grand Autre, comme la Grande Ourse, qui ne montre pas le Nord,
il faut chercher le petit.
Le Grand Chariot nous donne l’indice que le petit ours ne souhaite pas rendre.
Oh ! mon doudou.

Dites moi. Vous, vous le savez, n’est ce pas, que ce n’est pas possible.
Qu’en sais-je ? Je ne sais pas. Parfois, cela prend des années.
Mais c’est interminable, dites moi.
Oui, grandir est infini.

Le travail prend une place folle… On ne fait que se croiser.
Il travaille beaucoup vous savez. Moi aussi.
On se croise. On s’échange des choses sur notre travail.
Et en attendant, c’est l’intendance.
On commande sur internet, ça nous évite d’y aller.
Ca m’évite de monter plusieurs étages avec les cabas.
Et puis, la liste est déjà faite, elle est sur leur serveur.
Je peux faire les courses en réunion vous savez. Quand je m’ennuie.
Je lance l’appli, je regarde que tout est dispo et clic.
Ah… On n’a plus de rapports depuis longtemps. En dehors des vacances.
De toutes les manières, il est très classique. Cela dure dix minutes au mieux. Je préfère me soulager quand il est en déplacement avec mon ami le rabbit en regardant une série à la TV.
Le travail prend la place qu’on lui donne… me suis-je tu.