Dolorosa… il suffit parfois de se plaindre…

D’eau ! L’eau ! Rosa !

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Fatigue.

Je patauge.

Ça rime avec nage, rage, âge, partage… non. Ça patauge, sans ange, sans je, sans jeux. Pas de marge. Voilà. Ça rime avec sans marge. Mirage, mage, fromage, plage, pelage… page qui ne tourne pas, le page qui n’annonce rien, le mage disparu dans les nuages, sans ramage, plumage, fatigue. Pardon. La rime a ripé.
Déstructurée.

Les gens sont fatigués et leur fatigue me fatigue parce qu’elle est liée, entremêlée, engoncée, entrelacée dans des méandres desquelles la vie, la joie, le rire, le sourire se sont éteints.
Disparus de la scène comme de la Seine, de la cène jusqu’à l’obscène, sans crier gare elle rentre dedans, s’immisce et s’imbibe dans les moindres interstices des éléments non agrégés abrasifs comme ce papier de verre qui gratte gratte gratte… pourquoi ?
J’y crois, j’disais. À quoi ? Je ne sais plus.

L’incompétence règne parfois en maître en des lieux où je ne l’aimerai pas la trouver. Mais qui suis-je et où me situe-je pour affirmer cela ?
Quand le sens se perd, quand les repères ne sont plus les mêmes, la différence trop importante, l’énergie me manque parfois pour aller au-delà de cette différence, faire l’effort de me rapprocher… de quoi ?

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Pourquoi ?

Avant, le simple fait de me dire que je travaillais me suffisait à me contenter.

Aujourd’hui, avec la bouteille, l’expérience, la vie, le vécu, je me demande pourquoi je perds mon temps à tenter de rétablir des règles à des endroits où l’aigre a pris place. Je suis admiratif des évangélisateurs de tout genre qui, malgré toute l’adversité, portent en eux la foi qui fait qu’ils avancent. Fers en avant, théories en bandoulière, narcisse en bannière, sans trembler.
Je n’ai pas une grande foi en l’espèce humaine, malgré ses fulgurances, malgré sa vitalité.

Certaines personnes me font plaisir à voir, car elles ne sont pas limitées autour de problématiques qui sont vaines, car le problème même autour duquel elles sont coincées vaut la peine d’être vécue. Oui. Des problèmes qui méritent d’être vécues… Vade retro satanas, ce masochisme médiocre dans ce monde où tout doit être condamné sur l’autel de la performance ! Otez moi tous ces oripeaux dont les histoires racontées menacent la paix actuelle et présente ! Virez moi tout cette antiquité pour ce renouveau en marche !

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Purée !

Dire que la vie est précieuse et courte, que la mort est au coin de la rue, qu’il n’y a pas plus précieux que cette vie si fragile et pourtant si forte… est vaine… ou inaudible… pour des raisons obscures…

Obscures, car le psychisme se fabrique des carcans qui permettent la survie.
Sortir de ma survie personnelle et professionnelle m’a permis de me rendre compte à quel point le ciel est bleu, la fleur qui ce matin avait éclose, si belle, à quel point la musique de Mozart m’émeut, à quel point la poésie me délie et me relie, à quel point un objet devient beau… en moi.

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À quel point, l’amour est important.

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Sortir de ma survie, car c’est une forme de survie que de traverser ces contrées nauséabondes de la vie au travail, polluées par la sensation du mourir – pas de la mort bien plus définitive et claire -, du « mort y fer », permet de remettre encore une fois l’ouvrage sur le métier…
Pour en faire quoi ?

La souffrance et le travail des autres ont un impact sur notre psychisme à nous autres écoutants en tout genre, si dans cette écoute, nous dégageons délibérément toutes formes de solutions immédiates – même si, dans certaines conditions, ces dites solutions sont efficaces et nécessaires – pour viser l’autonomie de la personne.

Or, cette autonomie vient buter pour certaines personnes sur une quête délibérément ontologique d’une construction identitaire, au regard non pas de ce qu’elle fait, mais ce que ce qu’elle fait rend compte de l’importance que nous avons d’exister.
Autrement dit, notre besoin de reconnaissance est impossible à rassasier… (Cher Stig, quand tu nous tiens !) tant que nous resterons ontologiquement des enfants en nous-mêmes, des individus dont la maturité psychique n’a pas atteint la maturité, dans une vie traversée par les épreuves vaincues du quotidien.

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Est-ce que cette maturité psychique est-elle atteignable ?
Bien évidemment que oui, avec effort, constance et ténacité… mais ai-je cette ténacité-là pour tout le monde ?

Bien évidemment que non…
Je veux bien aider l’autre à sortir du caca, de passer de la couche irritante au pot, du pot aux toilettes, d’accéder à la propreté, condition sine qua non pour aller à l’école… apprendre à devenir élève, dit-on…

Entre ces deux évidences se loge mon engagement.
S’engager à rendre une personne autonome demande autant d’énergie que de nous engager à rendre notre propre enfant autonome.
Une énergie du quotidien, une énergie de la répétition, une énergie de lutter contre son découragement, de nous refuser à balancer son enfant par dessus la rambarde de la fenêtre ou de le secouer…

L’aliénation provoquée par les enfants vis à vis des parents peut être vécue comme persécutoire… or, en compensation de cette même persécution, il y a un retour… narcissique pour l’enfant, pécuniaire et forcément narcissique pour le patient… qui s’en sort… grâce à nous… et là je ne peux m’empêcher de pouffer de rires… à m’entendre écrire… ce truc là !
Qu’est-ce que j’en ai à foutre de ce retour « narcissique-las » aujourd’hui ? Je ne me gausse plus comme d’autres feraient… d’en avoir sauvé… des milliers ? des milliers d’heures à écouter gémir, geindre, couiner, crier, pleurer, vociférer, rire, danser, sourire, hurler…
Il ne se fait plus ce carburant qui me pousserait à avancer.

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Non. Niet. Assez. Je raccroche.

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D’autres consœurs et confrères riront certainement en me disant qu’il me faut poser ma focale ailleurs dans la transformation sociale, faisons la révolution… que notre œuvre civilisatrice continuera son chemin à un niveau micro, permettra de faire tâche d’huile… Oui, parfois un petit groupe minoritaire peut l’emporter… Oui… Parfois, seulement… lalala lalala…

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Puis, comme par magie, dès que ces mots ont été posés sur mon smartphone… les patients chiants avaient disparu, laissant place à d’autres, plus lumineux, me rappelant que le travail du psy ne consiste pas toujours à comprendre, à élaborer, à faire comprendre, à donner sens, à écouter, à se préoccuper, à attendre, à subir… mais simplement à être là (pas las), à maintenir à un endroit, la Lumière.

Et, comme un écho dans le lointain, j’entends ma mère qui me sourit souvent en me rappelant à quel point mon travail est un travail [donné] par le Ciel, un 天職 (tenshoku), indiciblement intraduisible mais terrifiant par son sens, en terme échu.