Le K – i, t.

 

Une grande enseigne de meuble suédois a conquis des foyers entiers en proposant des meubles en kit.
À monter par soi-même… on va au magasin, on paie – c’est important tout de même -, on charge dans son auto et une fois chez soi on ouvre ce paquet et on suit des instructions.
À monter par soi-même, comme le jeu de construction d’une autre grande marque nordique, signifie que le meuble a été conçu par quelqu’un, dessiné, fabriqué et transporté.
À monter par soi-même, c’est le synonyme de « suivre scrupuleusement les instructions des autres »… obéir aux petits dessins et bien sûr, être satisfait d’avoir « bien monté » (je n’ose pas faire la boutade mais osons nous amuser… que cela ne rime pas forcément avec « être bien monté »… rires) et solidement, (sic !) son meuble.
Ce « mode » – à monter par soi-même – laisse penser que nous sommes « libres » de « monter par nous-mêmes », mais dans cette illusion de liberté, des instructions… dans le même registre, nous pourrions aussi discuter la sémantiques du nom du service des vélos parisiens en libre service. Disons, une autre fois.

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Une machine onéreuse a récemment fait irruption dans certaines cuisines familiales. Une machine magnifique magique même… « elle fait tout » m’a-t-on dit fièrement.
On trouve des recettes sur internet ou fournies par le constructeur sur clef USB et des milliers de choses compliquées deviennent facile à faire… et parfois, sauvent des couples… Vous savez, celui qui ne fait jamais la cuisine mais qui mange n’a plus rien à reprocher à celui qui fait manger… suivez mon regard…
Soit ! Reprenons.

Un robot doté d’une intelligence certaine qui donne des instructions « mettez dix grammes de sel… deux carottes… etc… », qui cuisine et pour laquelle machine nous serions ses « aide-cuisiniers ». Je n’ose imaginer un instant que nous serions ses esclaves… sourires…
La machine donne des instructions pour la paix des ménages… cette paix-là se paie en monnaie sonnante et trébuchante d’aliénations et soumise à l’obéissance… à une machine… et non l’obéissance de celle-ci à l’être humain…

La cuisine est considérée comme un Art non pas seulement parce que cela sied à nos papilles gustatives… qu’elle peut faire des choses merveilleuses et éphémères…
mais aussi comme un Art car c’est son processus qui est poétique… pas besoin de suivre une recette ou des unités de mesures trop précises… c’est notre propre capacité à engager notre corps et notre âme en mouvement qui crée cet espace de rêveries… dont les bénéfices secondaires seraient de la marier avec un bon vin et de satisfaire nos appétits gargantuesques ou Vegan sans gluten.
Mes meilleures recettes sont celles qui ne donnent que les ingrédients ou qui émergent quand j’ouvre le frigo et que je constate qu’il ne reste pas grand chose, seulement quelques trésors cachés et oubliés dans les bocaux abandonnés. Comment apprécier qu’un légume frais rendra plus d’eau qu’un autre qui vient de passer quelques jours au fond de mon frigidaire ? « mettez 150 grammes de courgettes ! » bio ?

Bien sûr, comme toute poésie, comme tout engagement de nos corps, cela peut rater… Mince, j’ai laissé la viande sur le feu trop longtemps, j’ai du répondre à un texto de ma chérie qui me dit qu’elle est coincée dans les bouchons… rires…
Il est certain qu’en standardisant les processus, en créant des procédures qualité, les humains obtiennent des choses qui peuvent tendre vers le beau… ou du moins, réduiront les risques qu’un accident ne survienne… je veux dire… pour une fusée, un tgv, une voiture… je comprends…

Mais là, il s’agit de la vie ! de cette chose que les êtres vivants font naturellement pour leur survie… manger… se reproduire… ah pardon… évitons de parler de sexe en cet endroit de jouissantes réjouissances délicieuses et machiaveliquement tendancieuses !

À vouloir trop prévenir les risques de rater – madame Tatin ne pourrait exister – et dieux savent combien notre société est et reste hantée par le risque zéro… et cette lutte fatale contre l’erreur s’imprime dans notre subjectivité… et se grave sur des corps sans odeurs, sans rides, sans ratures, bon sang… c’est nickel, chirurgie esthétique et esthétisante, annihilant toutes traces sur ma peau… qui, par ailleurs, peut être de plus en plus tatouée par des signes plus ou moins ésotériques ou banales… comme si… le temps devait être suspendu, fontaine de jouvence de paradis artificiels… or… certitude certaine… nous mourrons un jour… mais… je m’égare… non, je m’éloigne… non… j’y reviens…

Oui, la paix du ménage – pour lutter contre le risque du conflit inutile – passe par l’apparition de procédures familiales… de tours de rôles pour le ménage sinon un robot aspirateur… des machines à penser toutes faites… de choses standardisées… au lieu de rêver… aimer… penser… désirer… oser… imaginer… croire… s’espérer… rire… sourire… regarder une robe légère traverser le jardin sous la douceur du Sud… re-devenir et dé-couvrir les êtres vivants que nous sommes encore…