parler de… sa clinique

 

Écrire sa clinique.

Exercice difficile.

Parler de sa clinique, parce que cette chose-là se fait en parlant – totologie chez un psy -, en général on « vient » pour parler chez un psy.
Ça, c’est la représentation classique de la séance.
Mais en réalité, dans le quotidien, de « l’autre côté » du fauteuil, ce n’est pas cela qui fait la clinique, cette présence soignante.
A vrai dire, que le patient parle ou non, cela importe peu. C’est ce qu’il aimerait dire, voudrait dire, oserait dire, pourrait dire qui est important. On peut toujours parler pour ne rien dire, il suffit simplement de regarder la télé tous les jours…

Parler de sa clinique est compliqué parce que c’est toujours une aventure à deux ou plus, pendant laquelle la promenade peut se transformer en chevauchant ses hordes sauvages comme descendre le Canal du Midi en péniche… où le phrasé se teint de rythmes, de couleurs, de saveurs et de senteurs diverses et variés, un voyage en soi.
C’est la temporalité, la temporéité, comme corporéité qui impose le rythme du phrasé… Et c’est comme le bon vin, cela mûrit avec le temps… dans l’après-coup de la séance, quand on est sorti du cabinet et qu’on se dit : « pourquoi je ne lui EN ai pas parlé ? » Et qu’on se dit : « Oh, une prochaine fois », cette prochaine fois qui n’arrivera peut être jamais…
Mais même ce bon vin, a besoin d’une bonne cave, d’une bonne température, d’une bonne hygrométrie, d’un bon caviste… bref, d’autres paramètres environnementales…

Parler de sa clinique est compliqué parce que cette même aventure humaine et humanisante, est unique de par la relation qui s’établit entre le thérapeute et le patient mais aussi parce que cette même relation est immanente… oui elle se réalise en elle même.
Une vieille amie me dit depuis longtemps : « la clinique ça éloigne… » Cette expérience unique d’une aventure humanisante qui transforme notre propre perception de soi et du monde est peuplée de repères expérientielles – ce que l’on a déjà vécu – mais aussi de repères culturelles – ce qu’on a hérité des autres et ce qu’on a appris, et surtout de repères à venir…
Oui, ça éloigne parce qu’il y a l’émergence d’une forme de quiétude, de certitude éphémère, d’une assurance, d’une angoisse atténuée.
Notre perception des choses et du monde, héritée de ce qui nous est transmis, infligé, corrompu, reprend ses places ordinaires et banales.

Parler de sa clinique est compliqué parce que je souhaite que ce « parler » soit ordinaire, le parler du commun et non celui du savant.
Je déteste les psys qui jargonnent avec les mots à eux qui les concernent mais qui se refusent à la vulgarisation, à la banalisation, comme si, la « chose-psy » – lire psy-chose – était « extra »-ordinaire. Or, il n’y a rien d’extraordinaire car tout est humain et banalement humain. Et d’ailleurs, c’est parce qu’il n’y a rien d’extraordinaire, d’extraterrestre qu’il est possible de soigner autrui.
Mais les mots ordinaires ont du mal à exprimer les choses de la clinique, sans passer par des mots parfois compliqués.
Le détour, par la métaphore, par l’illustration, aide mais ne suffit pas. Il est difficile de « traduire/transcrire » l’immanence sans passer par ce mot qui porte en soi toute l’histoire philosophique en lui.

Parler de sa clinique, c’est aussi parler de ses repères à soi, de sa « culture » à soi, avec le monde qui peuple ses repères. Ses croyances, ses origines, ses transcendances, ses déferlantes, ses repères politiques, humaines, c’est s’ancrer en soi avec une acceptation de soi tel que nous sommes au fond de nous-mêmes.
C’est cette « montagne », cette présence que j’ai raconté par ailleurs en parlant de « phare au chevet de » qui illustre la présence clinique.
Parce que la clinique se réalise dans le présent instant où le temps parfois se fige, se compacte, se transporte, où le temps permet l’ubiquité multiple – être ici et ailleurs en même temps -, – être dans l’instant d’ici tout en étant dans le passé futur antérieur -, la présence doit être pleine et entièrement engagée dans cet ancrage en soi.
Ceci est rassurant pour les deux, car tout peut tourbillonner, ce point là reste immuable, immobile, fixe, posé, là, présent dans sa densité.
La seule certitude que je possède est d’être là à ce moment là entièrement engagé dans cette présence là. Ce qui n’empêche pas l’ennui, le plaisir, la jouissance, la vie, la mort, tous ces états courants de la vie quotidienne.

Parler de sa clinique est compliqué parce que le désir du thérapeute c’est d’en parler un peu, ou du moins le peu que nous puissions en parler, d’en « parler juste ».
Or, qu’est ce que le juste d’une scène de la vie quotidienne ?
Dans les films d’Ozu, il est couramment admis que les scènes de la vie quotidienne sont fidèlement reproduites… comme cette jolie photo du baiser de l’Hôtel de Ville de Robert Doisneau…
Or, ces images sont de réelles mises en scène, c’est à dire des « constructions » de la pensée, des montages, des rêveries, déjà… des illusions…
Nous pourrions nous approcher au plus près du réel que ce « juste » de la vie quotidienne nous échappe du fait même d’en parler.

Est ce alors indicible ?
Et là encore, j’ai envie de répondre en bon normand. Oui et non.
Si la clinique était indicible, elle ne serait pas transmissible… mais il y a une part de la clinique qui ne peut être dite sans avoir été vécue.
Au-delà même de l’expérience, c’est le vécu de l’aventure, d’être parti à un moment donné… et de ne jamais savoir où nous allons, ce que nous ferons, ce que nous en ferons qui est indicible.
Autrement dit et peut être est-ce ainsi qu’il faut le dire, la clinique à l’image de la vie, est une aventure dont on ne connaît rien du lendemain. On sait que cela s’arrêtera un jour mais on ne sait pas quand.
Comme notre mort.
La clinique possède la certitude de notre propre finitude dont elle vit l’incertitude des instants.