Les belles choses

 

… s’écrivent avec les rêves et les tripes, avec les sons sans paroles…

Tu m’as toujours dit que c’était ainsi que les mots pourraient dire des choses que les images n’étaient pas capables d’exprimer…

Tu m’as toujours dit que les images pourraient faire naître des associations dont les sens se perdraient dans des méandres qui évoqueraient d’autres souvenirs oubliés.

Je ne me souviens plus très bien de toutes ces histoires perdues dans la nuit des temps, qui ne cessent de m’étonner, m’envahir, m’envoûter…

Tu m’as dit un jour que je pouvais dire des choses pour exprimer d’autres choses qui n’avaient aucun rapport mais qui permettaient de résoudre des énigmes dont les origines sont enfouies dans l’atemporel… La temporalité, ce petit tic tac familier du battement du temps, perdrait alors tout son sens et se mettrait à aller dans tous les sens. Hier serait dans le lendemain du surlendemain qui pourrait apparaître dans l’au-delà d’avant hier…

Je me suis assis dans une église, il faisait beau aujourd’hui. La lumière qui y pénétrait était exquise, brillante comme celle du printemps. Je me sens en sécurité dans ces lieux de culte, désertés depuis longtemps par les croyants, symbole d’un ordre du monde ancien… Et pourtant, la lumière était là, présente, présentée par les ondes multicolores qui ornaient les murs… Et pourtant, autant que je me souvienne, cette pensée était tienne. Sienne.

Tu te souviens quand je te disais que les émois passaient dans le corps, les émotions par le corps et les douleurs par l’esprit associé.
Je sais qu’elle vienne pour ne rien dire et dans ce rien, le tout. Elle pourrait venir sans rien dire, passer en coup de vent comme on passe chez le voisin, oui j’étais dans le coin, je peux monter ? Oui bien sûr, assieds toi, tu veux un thé ? J’ai fait un petit gâteau ce matin. Oui tu as toujours été douée pour les pâtisseries elles sont délicieuses… Oh, mais le cerisier a fleuri, je voulais le voir, tu te souviens quand ton oncle l’avait apporté de son jardin… Oui, quand il avait été déshérité en perdant aux jeux. Oui le hasard, il paraît…

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Avant même qu’elle ne s’assoie, je l’entends s’adresser à la secrétaire. Puis quand je viens la chercher, elle me dit : « ach, c’est vous que je viens voir… »
Oui, c’est moi et ce n’est pas moi qui vient à vous mais vous qui venez à moi.
Défense en armure bétonnée, chevalier teutonique des comptoirs de la Hanse… Soupirs… Je chasse mon premier stéréotype, je chasse les paroles de Lili Marleen : Bei der Kazerne, vor dem Grossen Tor…
Je chasse les petites phrases ou keywords freudiens qui me remontent à l’esprit, bien évidement je ne suis pas germaniste pour citer par coeur des vers de von Goethe, Heine ou von Kleist, ces romantiques allemands qui me parlent si souvent…
Je chasse… Je mets de côté, j’évite, comme une chasse à travers des ruelles encombrées de détritus… Et pourtant !
« Oui je ne comprends pas toujours les nuances du français… » Je ne peux m’empêcher de me dire qu’elle me parle en allemand travesti (et non traduit) en français, je le fais moi-même avec ma propre langue maternelle…
« Oui, il paraît que quand j’ouvre la bouche, y a toujours un accent… » Il paraît… Le pare-être… Oui, il y a dans cette armure teutonique, quelque chose du blindage de Panzers… Et des yeux bleus qui me toisent de haut tel un canon pointé sur les murs…
Bien évidemment, j’ai lâché au bout de ma troisième tentative, cette nuance de l’allemand en évoquant peut-être des discriminations dans la manière avec laquelle elle a été maltraitée sur son lieu de travail…
La hache teutonique tombe : « Oui, je sais. On m’avait prévenue. Elle n’aime pas les blondes… » Ach… ja… schön…

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« J’en prends bien note… »
Il griffonnait une liste de course, je l’imaginais terminer un dossier urgent. Il m’a dit être toujours débordé.
Non, ce n’est qu’une « liste » des choses qu’il avait faite depuis notre dernier rendez vous et les questions qu’il souhaitait poser.
Difficile de passer à côté du pack défensif.
À chaque mot anodin de ma part, il écrit sur le papier. Il prend des notes.
Il note. Non il n’ôte pas ce qu’il porte en lui. Non. Il note. Et il continue.