lucioles, fées et patinage artistique

 

 

Je n’ai jamais aimé le patinage artistique, je préfère le ski.

 

La métaphore m’est venu ce matin de comparer mon travail à celui du patinage artistique… C’est plus glamour que le sport de combat.

 

Je m’élance sur un pied, celui qui entend le travail, je lève ce même pied pour appuyer sur l’autre qui me parle du personnel, je repose l’autre pied et ainsi de suite je patine pour avancer…

Puis, parfois, au détour d’un événement, je fais un spin, je plante l’un de mes pieds sur la glace, je m’élève, je fais un tour sur moi même et fort heureusement, je retombe sur le même pied, pour lancer l’autre pied devant moi et m’élancer.

 

Les spécialistes me diront que c’est un triple accel, un saut comme ci comme ça…

 

Je ne sais pas qualifier mes gestes de métier en termes sportifs, mais ce que je ressens, c’est qu’il est nécessaire de sauter, de s’élever dans les airs pour pouvoir dépasser les barrières invisibles de choses étonnantes… Parfois, faire un saut dans le vide, dans le monde de l’autre côté du miroir, aller chasser le lapin avec Alice…

 

Mais est ce que tout cela est bien réel ?

 

—–

 

L’irréalité, c’est l’écoute de l’oignon. Pour peler l’oignon, il est possible de le trancher en deux, puis, peler la première couche, extérieure, plus ou moins colorée et plus ou moins sèche, puis s’attaquer aux nombreuses couches qui nous amènent au cœur.

 

Entre temps, ce qui m’étonne, c’est la célérité avec laquelle mon esprit fait l’arborescence des associations. Un mot dit à un moment donné m’amène à penser à un autre concept, puis je le laisse « flotter » pour en prendre un autre, plus scintillant ? Les écoutes flottantes, disent les spécialistes… Moi je ne sais pas ce qui est flottant ou qui flotte, sauf dans les Ukiyoe…

 

Avant, je regardais la « scintillance » de ces mots comme je regardais étant petit, les lucioles qui peuplaient mon grand jardin japonais avec camélias, cèdres, cédrats et cerisiers (c, c, c, c !)

 

La luminosité d’un mot, d’un silence, d’une inflexion de la tonalité, le glissement du ton, sa sonorité, sa teinte, sa saturation, me marquait et j’en prenais acte.

Comme si ma rétine cérébrale inscrivait quelque part un cliché photographique instantané, tel un vieux Polaroïd (je ne pense pas que mon cerveau fonctionne comme un appareil numérique… Et j’ai, dans mon for intérieur, un attachement certain à l’argentique pour m’autoriser à ce glissement… Quoi que…).

Et cette « boîte à images » me permettait de continuer à penser, rêver, mettre en perspective, un peu, comme quand je regarde une planche contact et que je retrouve des images égarées…

Aujourd’hui, les indexations numériques sont gérées par des logiciels qui projettent sur l’écran une planche contact défilant à l’infini…

 

Cette planche contact est s’est construite en moi en trois dimensions, projetant dans l’espace des liens infinis, un peu à la manière des connexions neuronales dans le cerveau, recréant un arbre de Noël où les loupiotes seraient remplacées par les lucioles de mon enfance…

 

Le scintillement devient une alternance de phases luminescentes et de phases éteintes, créant la sensation d’un ballet, rythmé par la poésie du phrasé…

 

Je ne suis pas amateur d’opéra, mais ça doit être quelque chose de cet ordre là, un mouvement musical et visuel, entre rythmes et phrasés, mais cet opéra serait sans aucune partition, seulement à l’improvisation, sans aucune grille d’accords… Une grille que celui qui écoute doit tisser, pour attraper les comètes ou les fées, issues de la lumière des lucioles.

 

—–

 

C’est bien joli tout ça…

Mais qui ou quoi ou comment et quand décide-je de la taille de la maille de cette grille, quelle comète je laisse filer autour du phare, quelle fée je laisse trainer sa poudre pour m’émerveiller de mon cinéma intérieur ?

 

Oui cinéma et non spectacle, c’est plus proche du cinéma (avec toutes les variantes du huis clos au James Bond, en passant par un Rohmer ou un Woody Allen…), parce que moi je vois les images et non les mots, cette visualisation représentative est la variation de ce que moi je suis en capacité de projeter donc intimement lié à la richesse de mon monde intérieur et de par quoi je suis traversé au moment où les images se produisent et se percutent… Se diffractent… Et se délibèrent entre eux pour « monter » mon cinéma avant de me le « montrer »…

 

C’est bien évidemment ma capacité à rêver qui est le moteur. Et ne pas me laisser entraîner vers le scénario qui est le mien et non le spectacle qui se déroule sous mes yeux…

 

—–

 

Les paradis artificiels, diraient Baudelaire.

Mais c’est parce que la situation est particulièrement artificielle que ce cinéma syncrétique et anachronique peut se réaliser, désindexé du temps… Au moins du temps chronologique.

Parfois, l’instant peut sembler infini comme l’infini peut sembler infime, je peux même imaginer la relativité avec cette même parabole.