au loin, si [cy] près…

 

Une chaussure, entraperçue entre deux encadrements de porte du train, quelque secondes avant, un baiser sur le quai, l’homme repart, n’attend pas son départ, certainement pressé de rejoindre son travail, reprendre sa vie. Hochements de têtes, baisers à l’appui, les regards, puis, l’éloignement des corps, la séparation des esprits…
Hébétée, surprise, elle regarde les numéros, où est ma/sa place ? Non, pas ici, vers le haut. Puis. La chaussure couleur brique qui apparaît dans l’embrasure de la porte.

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L’affiche parle du regard, de la vue, rassemble des personnalités diverses pour un lieu d’échanges entre eux. La vue. La vision des choses d’un magistrat, d’une psychanalyste, d’un économiste, d’un historien helléniste… elle date un peu. Les couleurs seyantes et chaudes du début ont disparu sous la Lumière du jour qu’elle a reçue.

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Je me demande toujours dans quelle mesure je comprends les choses sans avoir même pris le temps de m’en rendre compte… un nouveau est venu dans le service, je dois être trop vieille France, je ne supporte pas qu’il m’interpelle en me disant : « Salut ! ». Trop poli, je ne lui réponds pas que nous n’avons pas élevé les cochons ensemble… Cette fausse familiarité qui n’est que simulacre… Je n’en ai rien à faire ! Pauvre Baudrillard… Si vous saviez…

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Fin février, dans le train. Cela m’arrive souvent. Dans le Sud, les amandiers sont déjà en fleurs, le printemps pointe son nez. Les chanceux sont revenus de la neige, d’autres attendent avec impatience les sommets enneigés de Pâques.

Une présence passe, une jeune femme en robe, montrant ses jolies jambes jusqu’à la moitié des cuisses. La rame remplie de messieurs de tous âges lèvent leur tête, le silence se fait.
Cet instant éphémère, qui, dans un film serait repris en slow-motion for deep emotions, dans un train filant à plus de 300 km/h, est un délice silencieux, rempli de désirs sauvages et de soupirs langoureux fantasmatiques.

Je souris. La vie revient, la sève remonte, la Lumière se fait.

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La petite fille d’à-côté, elle regarde un dessin animé. Toute petite devant l’indifférence totale de ses parents, un grand casque audio d’adulte enfiché sur sa tête, le fil est coincé sous l’ordinateur.
Au moins, elle ne regarde pas n’importe quoi, elle regarde le voisin Totoro de Miyazaki…
Bien évidemment, elle passe à côté de tous les symboles qui, à moi, sautent aux yeux, ces dédales de rizières, ces paysans qui plantent en rang le riz au rythme de chants offerts aux dieux, le torii du temple des Oinari, temple du renard de la Prospérité. Le détail, ces « volets » glissés qui se rangent dans une boîte à un bout du couloir, une boîte qui « sort » comme une extension de celui-ci.
À trois ans, elle regarde le mouvement, scotchée à 20 cm de l’écran du Mac, certes d’une grande qualité… mais… son fil du casque l’empêche de s’en éloigner…
Le Mac est posé sur la table en l’espace Carré famille du TGV… du coup, son menton est posé sur l’ordi… le 11 pouces, léger soit-il, design soit-il devient alors le bout d’une chaîne à laquelle la petite fille est attachée…
L’arbre de Totoro est le « dieu du coin », terme qui parlerait certainement à tous polythéistes… est-ce que cette petite guirlande accrochée à cet arbre parle à cette petite fille… au-delà d’une autre guirlande contextuelle de notre actualité, à savoir Noël ?

Mais ce n’est pas grave… les parents ne peuvent tout expliquer à leurs enfants et fort heureusement que les parents restent toujours décevants…

D’ailleurs, à un moment donné, elle réclame le petit chaperon rouge… dire qu’on pensait crier au loup… quelle ménagerie !

Se réfugier sous un petit autel de campagne près d’un jizō pendant un orage… lui dire « excusez moi pour ce dérangement », « merci pour votre accueil »… passeront peut être des messages infraliminaux de tolérance et de l’importance d’une certaine symbolique qui transcende les pauvres petits humains que nous sommes… dans ce monde de plus en plus peuplé de brutes épaisses…

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Le printemps arrive, et hop, les décolletés se découvrent (c’est un pléonasme), les jambes se montrent (ce n’est pas seulement une illusion), les débardeurs sont de sortie.
Le bourgeonnement agit dans les corps et les esprits, pif paf pouf, ça y est, tout le monde se déchaîne, les femmes, plus ou moins jeunes font l’objet de convoitise, qui à leur tour regardent moins vulgairement ces messieurs qui hissent leurs pectoraux comme les mâ(le)ts de maxi-trimaran laissant deviner les quilles… (non non, nous ne mettrons pas ici un « ô » annonciateur…).
La lumière est belle, elle « luxurit » la peau, la pigmente, l’égaie…
Elle me regarde, elle me sourit, elle me dit simplement qu’elle a rencontré quelqu’un, que ce qui était impensable il y a quelques mois est devenu vrai, et que, et que, et que… ah la la… qu’est-ce qu’elle pousse, celle-là !