Douleurs, incolores et inodores…

 

Tu m’as dit, un jour, que les larmes ne séchaient pas sur les armes, que le vacarme si dense de nos jours cesserait peut-être de nous asservir aux rythmes des alarmes…

Tu m’as dit, un jour, que nos esprits pourraient se mouvoir librement comme d’autres étoiles filantes parcourent leurs libres courses à travers les espaces. Intercalaires interstellaires interminables entre les minables et les interprétations…

Puis, un jour, je me suis tu.
Je me suis tu parce que j’en avais assez d’entendre parler pour ne rien dire, d’écouter dire pour ne rien entendre, parce que même les jeux de mots ne m’amusaient plus car leurs Lumières s’étaient évanouies.
Quand les êtres humains s’écoutent parler, c’est la toute puissance qui siège à la place de l’humilité, que suis-je enfin de compte, petit être dans un chaînon d’autres humains qui m’ont précédé et ceux qui me suivront ? Une étape ? Un moment ? Un instant poussiéreux…
La peur de la mort entraîne la haine de l’autre car l’autre est la mort et la mort la vie.

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Certains, pour exister, pour survivre, pour poursuivre leur Quête d’un Graal dont le sens s’est déjà perdu dans les méandres des histoires compilées sans « méta »

/ je n’ose dire ici, méta-psychologie / – c’est à dire le travail d’historisation sur les histoires racontées… –

Puis, se réclamant de la Théorie machin ou du Totem truc, brandi/e tel un phallus ou un succédané de la Chose… puissance… et impuissance qui s’accordent avec non sens.

Les théories ont toujours plusieurs trains de retard car la richesse et la pluralité des vies sont bien plus en avance.
Si, la théorie permet de mettre des mots « savants » – ça vend, ça vent ? – sur de belles choses,
Si la théorie permet de conceptualiser, c’est surtout parce qu’elle permet beaucoup de se réfugier derrière des explications « scientifiques », pensées par d’autres et où nous n’avons pas besoin de nous engager.
C’est vrai que structurer sa pensée permet de ne pas être envahi par des idées préconçues, stéréotypées où certains ont peur de « projeter » – disent-ils – ce qu’ils éprouvent en l’Autre.
C’est vrai.
Mais la théorie en soi ne suffit pas.
Dire, c’est machin, bidule, truc, c’est comme simplement nommer les choses aux enfants, ceci est une table, ça s’appelle une chaise… Ceci n’est pas une pipe… j’en ris… car tous ces différents niveaux, couleurs, temporalités, musicalités, sonorités… viennent à moi… à travers… le corps… c’est mon corps qui parle et qui résonne, qui ne raisonne pas à toutes ces théories… armures pour rois, déchus…

Le seul souci, c’est l’incorporation de ces concepts. Après des heures et des heures d’écoutes, d’expériences de situations de vie, il nous est possible de nous en affranchir et atteindre cet état que j’appelle « la bouteille ».
Je m’appuie sur l’expérience pensée et retravaillée par les théories – d’autant que je milite pour une hétérodoxie des théories – pour recommencer à écouter.

Notre corps n’a pas besoin de théories pour éprouver, ressentir et parler des choses qui nous heurtent.
Notre corps n’en a pas besoin, parce qu’il parle de lui même si nous savons l’entendre.
Notre corps n’en a pas besoin, parce que pour lui, exprimer est « naturel », puisque lorsque le psychisme le bloque, pour ses raisons qui lui sont propres, il continue de se frayer un chemin dans le corps… quitte à provoquer des maladies qui n’auraient jamais du survenir…

Oui, tu m’as dit, un jour, que la douleur éprouvée n’était pas la douleur même…
Que la douleur éprouvée était plus intense, plus diffuse, plus diffractée, plus puissante, plus profonde… plus, plus, plus…

Non. Tu as tort. Je ne peux penser comme toi.
La douleur est douloureuse, je peux la ressentir par sympathie, par empathie, imaginer éprouver – je ne dis pas éprouver à la place de – ce que cela peut être pour l’autre…
Mais jamais, la douleur ne peut être partagée telle qu’elle.
Non. Elle est douleur. Dolor es.