tapisseries…

 

Je le vois dès qu’il rentre dans la salle d’attente, j’ai l’impression qu’il titube, qu’il ne tient pas droit dans ses chaussures, il entre voûté.

Il a mon âge. Je lui en donnerai dix voire vingt de plus dans cet instant là.

 

Une fois assis devant moi, je trouve un jeune homme.

Un jeune garçon. La voix fluette, presqu’inaudible, avec un visage de poupon.

La lumière qui brille dans ses yeux bleus profonds en disent longs sur la compréhension du monde, mais l’impossibilité d’en dire quelque chose.

Les mots ne viennent pas.

 

Et il commence à parler…

 

La voix inaudible produit des mots à une vitesse improbable, les idées fusent dans tous les sens, dans un capharnaüm tel que je dois souvent l’arrêter en m’excusant qu’il va trop vite.

Il sourit, compatit à ma douleur auditive, il me dit : « ça arrive souvent, vous savez… Les gens ils m’comprennent pas… »

Et se remet à mouliner. Oui, à mouliner sans moudre…

 

Au bout d’une vingtaine de lancers francs, je ne sais plus où est la balle, je me sens gardien impuissant qui vient de se prendre un quinze zéro en handball. Je fais tout pour suspendre, pour m’arrêter, attendre, saisir au vol un fil, identifier la couleur, tricoter avec le fil de la même couleur quelques phrases avant…

 

Mais tel un canon qui éjecte les balles de tennis sur les courts, il mitraille avec son moulin, avec sa voix fluette et jeune et ses yeux de poupon…

 

Ca y est, je viens de prendre vingt cinq buts, ouf, j’ai pu tisser une toute petite bande quadrichromie…

Une modeste petite bande que je lui montre.

 

Il acquiesce mais il reprend de plus belle…

 

Non, cette petite bande là, il y a belle lurette qu’il l’a tissée tout seul dans son coin…

C’est la grande tapisserie qu’il lui faut, quelque chose d’immense pour écluser et épuiser sa production filaire…

 

Il vient de rencontrer une succession de professionnels à qui il a commandé cette tapisserie…

Et personne ne peut lui tisser une oeuvre pareille, celle qu’il imagine être le bel ouvrage…

 

L’idée de devenir tisserand à son tour, de faire son métier, de se mettre à l’ouvrage, il n’y avait pas pensé…

 

« Ah… » il est déçu.  « Faut’que je fasse ça ? »