sans travail, la mort…

 

 

Elle s’est assise, m’a regardé puis a commencé à me parler…

Un torrent de paroles, un tsunami de douleurs, un lâcher-prise sur des dizaines d’années retenues qui se déversent…

 

Pendant une heure et demi, elle a parlé.

Sans arrêt.

Dans l’ordre, dans une pensée construite, secondarisée, intelligente, cohérente… Non, je n’assiste pas à un délire.

Non, je ne suis pas face à une logorrhée, une diarrhée verbale…

Non.

 

« Pourquoi sont-ils si méchants avec moi ? »

 

Elle est arrivée en France, elle a laissé là bas un enfant. Ses parents… toute sa famille… Elle n’en dit pas plus.

Elle n’a cessé de travailler, de travailler, de travailler, de travailler, de travailler… pour donner à celles et ceux qui comptent sur elle, une partie de son smic.

Elle n’a cessé de travailler, de travailler, de travailler, de travailler, de travailler, sans penser à elle…

Ce n’était pas grave, si elle n’était pas bien traitée.

Tant que la paie tombe à la fin du mois.

Ce n’était pas grave, si elle était maltraitée.

Tant qu’elle peut leur envoyer de l’argent.

Ce n’était pas grave, si elle était victime de racisme ordinaire, qu’elle était la nègre du service.

Tant qu’elle peut rembourser l’emprunt.

Ce n’était pas grave, si elle doit faire les tâches les plus ingrates de son service…

C’est Dieu qui veut ça…

Il a bon dos Dieu.

 

Puis, son corps a commencé à craquer de partout…

Canal carpien, genoux, dos, puis, un jour, elle étouffe, elle suffoque, elle chute, elle fait plusieurs malaises… ses mollets qui enflent… une phlébite…

Elle tient encore, se fait belle, se drape de beaux habits pour venir…

Mais derrière ses lunettes trempées par les pleurs, tout lâche…

 

« Non, Docteur, je ne suis pas malade. Je peux encore travailler. Je dois travailler. Ma fille doit aller à l’école. »

 

« Vous voulez dire que vous ne pouvez pas vous arrêter de travailler, parce que le poids que vous portez est bien trop lourd… »

 

« Mais… Je ne suis rien, si je ne travaille plus. Je serais perdue… »