crise de misanthropie aiguë…

Certains soirs, après une longue journée où j’ai entendu, vu, bu, imaginé, surfé sur les imaginaires et les horreurs que mes patients me déversent, je deviens misanthrope.

 

Je sens mon corps meurtri qui a pris les coups, je ressens la résonance de la souffrance de l’autre qui parcourt les muscles et mes centres d’énergies, celles qui ont été mobilisés, me font mal…

Je suis courbaturé, je ressens les bleus, comme les boxeurs après un tournoi.

 

Écouter puise une énergie corporelle et vitale qui fatigue profondément le corps, les corps…

 

Et cette fatigue peut être de plusieurs sortes.

Une première, celle que je qualifierai de « normale » et qui en est une « bonne », est celle que j’éprouve car le travail a été bien fait. C’est comme la fatigue physique après un effort.

 

L’autre fatigue, épuisante, c’est celle où j’ai reçu des choses qui ne m’appartiennent pas et que je n’ai pas rendues à leur propriétaire… J’ai l’impression de me transformer en cette bâtisse de la rue des Morillons dans le 15e, celle des Objets Trouvés, ce bâtiment bizarre où les parapluies accrochés à des énormes clous et étiquetés d’un bout de papier d’un autre siècle attendent patiemment que leur propriétaire veuille bien venir les réclamer.

 

En écrivant, j’en découvre une autre…

La fatigue liée à un heurt sur nos propres failles, nos propres difficultés que l’on n’identifie pas toujours. Cette fatigue là, elle est là, un peu comme le couteau que l’on retourne sur sa plaie. Celle-ci, plus je les identifie, plus je me préserve… Mais c’est aussi, parce que cela touche notre corde sensible que cet éprouvé éprouvant permet à nos patients de se transformer.

 

Ce travail est un travail de forçat, celui du masochiste où il serait si facile de tomber dans la lassitude…

 

Et cette lassitude-là fait que je ne supporte plus les humains, mes semblables qui sont capables du meilleur comme du pire, souvent la même personne d’ailleurs !

 

Je ne supporte alors encore moins les transports en commun, là où je dois me transformer en petit atome d’eau dans les flux agités et anarchiques de la rivière… Secoué, marchant vite, évitant les coups, parant les prochains, à la quête de places disponibles, de rames moins chargées…

Et les problèmes organisationnels sautent aux yeux, économies sur l’entretien, économies sur les professionnels, qui sont les causes et les origines de beaucoup de souffrances des personnes au travail, m’affectent encore plus profondément.

 

Alors, je me replie, j’évite, je marche pour m’aérer un peu, j’écris pour me couper de la foule…

Je rêve de paysages déserts, de ciels bleus infinis, d’horizons multicolores…

Des cimes d’arbres qui dansent au gré du vent, les pic-vert qui cognent les troncs, les bambous qui oscillent…