le phare tangue…

 

J’ai laissé entrer une naufragée dans le phare…

 

Elle est épuisée, elle a tant souqué ces dernières années.

Elle a traversé des mers différentes, toutes océaniques et engloutissantes, elle a rencontré des gens merveilleux, elle a découvert des mondes sublimes, des paysages heureux et ensoleillés.

Elle a survécu à l’hostilité, au désespoir, aux duretés du monde qui vit.

 

Le récit de ses voyages m’enchante, m’ensorcelle, me fait rêver.

Elle me transporte, elle m’emmène… Non. Je n’ai pas vu. Je ne vois pas. Je suis ensorcelé… Par ce que je ressens.

 

Et pourtant, elle est en haillons. Sa barque a sombré dans les écumes, son dernier repère s’est envolé avec l’ouragan.

 

Elle a ramé, beaucoup ramé, ces derniers jours… Puis elle s’est hissée sur le rocher au pied du phare et je l’ai accueillie.

 

Elle est entrée.

 

Au début, elle voulait repartir tout de suite, dès la première éclaircie. Elle n’était pas en état mais elle ne voulait pas rester. Je l’ai soignée un peu, je lui ai offert des habits secs, je lui ai proposé de dormir dans une des chambres du phare.

 

Et je suis retourné surveiller la mer. J’ai aidé d’autres à trouver leurs chemins sur cette mer déchaînée, entre deux époques, entre deux saisons…

J’ai recueilli des cormorans qui se plaignaient de bateaux ivres qui déversaient leur fiel sur leurs maisons. Je leur ai dit d’aller trouver les gardes côtes pour les chasser, ces souilleurs… D’aller vaquer ailleurs… Trouver d’autres mondes…

 

Au fond du phare, je l’entends soupirer, je l’entends s’endormir, je l’écoute se reposer, reprendre des forces…

 

Puis, un jour, elle me parle enfin de ceux qui l’ont attaquée… En pleine mer, près d’une série de récifs. Elle me parle d’indigènes prêts à la sauver mais il leur faut une carte du ciel avec les traces des étoiles filantes…

 

« Peut-être faut-il en demander une à la Capitainerie du Port de la Côte qui Brille » propose-je.

« Oui, fais ça » qu’elle me dit.

 

Elle s’est installée dans le phare, elle a pris place. Elle grandit… Elle occupe maintenant tout l’étage…

 

J’ai envoyé un message-relais. Le message en morse est arrivé tronqué.

À la Capitainerie du Port, ils ne savent pas quand passe le Messager des Cartes du Ciel des Traces des Étoiles filantes.

 

« Perséides » ai-je dit.

« C’est quand ? » qu’elle me demande, insistante…

« Bientôt. »

« Mais je dois repartir ! J’ai besoin de cette Carte ! »

Elle tape du pied, se roule par terre, envoie tout valser à travers le Phare…

 

Les murs se réveillent, étonnés par d’autant de vacarmes.

 

« Qu’est ce qui se passe ici ? » disent-ils en chœur et avec des trémolos de voix graves assourdissantes…

« Rien rien » réponds-je.

« Alors, que cela cesse ! » grondent-ils…

 

Elle, elle n’entend pas les murs…

Elle ne voit plus que cette Carte du Ciel qu’elle pense que je n’ai pas commandée à la Capitainerie puisque la Capitainerie n’a pas obéi à ma demande…

 

Elle me regarde avec des yeux pleins de détresses et de haines…

Elle regarde les murs, elle veut tout casser…

Elle n’est pas assez forte pour faire exploser ces murs…

Les murs ont mal, car ils tentent de contenir… Contenir quoi ?

 

Elle me hurle qu’elle perd son temps qu’il y a encore des contrées vierges à explorer que ses minutes sont comptées et qu’elle ne peut pas rester là.

 

« À regarder ces murs ronds, à tourner en rond, à me ronger les ongles et à me bouffer les doigts. Ça me rend folle, tu me rends folle ! » dit elle.

 

Puis, elle repart dans son cercle infernal. Elle dit mourir dans cette chose dans laquelle je l’aurais enfermée…

Oui.

Le refuge s’est transformé en prison selon elle.

 

« Tu m’avais promis ! » m’hurle-t-elle.

« Oui. Ça a été fait. La mer est intenable en ce moment, les remous sont importants, la houle est trop forte… Ça va prendre du temps. Prends le temps de récupérer tes forces. Prends le temps de penser à autres choses. »

 

« Qu’est-ce que tu crois ? Que je ne pense pas ? Mais qu’est ce que tu veux que je fasse entre ces murs froids et gris ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse dans cette prison de merde dans laquelle tu m’as enfermée ? Ça n’avance pas ! »

 

« Ca ne fait que deux jours… »

 

« Et alors ? Ça aurait du déjà être là. Deux jours, tu sais ce que c’est deux jours ? »

 

Puis, la tempête s’est calmée.

 

Elle est sortie, elle a claqué la porte.

Elle ne s’est pas rendue compte que la porte n’était pas fermée à clefs… Mais cette porte « fermée » lui est insupportable.

Alors elle frappe contre la porte.

Elle pleure, elle cogne contre la porte. Elle fonce dessus, elle aboie. Elle hurle.

 

Après les eaux du ciel, ce sont ses cris stridents et hurlants que le phare subit.

 

Il sait qu’il doit attendre…

Que la Carte arrive par le prochain bateau…

Qu’avec celle-ci, qu’elle prenne le bateau et qu’elle puisse quitter le récif du phare au milieu de l’océan.

Qu’elle regagne la terre ferme, engager d’autres aventures…

 

Un tronc d’arbre est passé, non loin de là, elle a sauté dans l’eau puis elle s’est éloignée, comme elle est venue, à la recherche de sa Carte du Ciel.

 

 

Je crois qu’il est temps que je cesse d’écouter et de m’émerveiller des chants des sirènes (six reines, si reine !).