esclave des autres et/ou esclave de soi ?

Son regard, bleu profond, une silhouette toute frêle, un sens du devoir hors du commun, une résistance à toute épreuve contre l’adversité, une intelligence hors pair, un sourire malicieux…

Comment une personne peut elle supporter l’insupportable et se soumettre à toutes sortes de calomnies, de maltraitances malfaisantes ?

Un entourage qui considère que c’est normal qu’une femme soit soumise, que la violence faite contre elle est ordinaire, que les choses sont ainsi. Les mâles en manque de satisfactions peuvent hurler, gueuler, frapper avec leurs comportements non verbaux et ce n’est pas grave. Qu’elle se soumette quoi ! Surtout quand cette humiliation est liée aux conditions de son arrivée dans l’entreprise, les choses se figent, les murs se resserrent, la cage de verre s’empile et enferme.

Elle a beau vivre dans les beaux quartiers, avoir d’excellentes fréquentations, cela ne change rien. Au contraire même. Cela rajoute le devoir de paraître en pleine forme, en vie, heureuse, lumineuse, belle…
Elle a beau avoir une deuxième vie numérique, ouverte au monde où tout le monde peut voir le visage de ses enfants et le sien en particulier, ces masques ne changent en rien à l’immonde.

Derrière la porte de mon cabinet, elle n’est toujours pas en sécurité, elle est tendue. Elle a peur d’entendre ce qui est sa réalité, devoir se défaire de ses illusions chèrement payées, affronter le réel…

Ma génération, née dans les années 70, élevée par la précédente dorée du plein emploi en France, arrivée sur le marche du travail dans les années 90, a toujours connu plus de 15% de chômage et a toujours cette crainte de tomber dans la précarité. Parce que nos vies sont considérées comme précaires et de plus en plus tenues à un fil, parce qu’avant 35 ans, on est trop jeune et qu’après 45 ans, on est presque trop vieux. Auquel il faut ajouter un climat social, sociétal et écologique très anxiogène… Les catastrophes, les drames se succèdent à la vitesse des défilements des « News » sûr les chaînes d’informations continues.

Mais cette crainte de la précarité justifie-t-elle que cette maman se soumette à des traitements ignobles dignes de l’esclavagisme ?

Plus le travail apporte une satisfaction intime, plus il est difficile de le quitter car « c’est une chance de faire un travail qui me plaît… Surtout à notre époque », ajoute-t-elle.

La réalisation de soi, si importante, de ne pas faire un travail de merde mais un travail super intéressant super branche super cool… Devient l’autel au nom du quel et sur lequel les conditions de travail sont sacrifiées.

Certes, il y a toujours eu des coups de bourre, des moments ou le travail devient plus intense… Mais cette intensité qui amène certaines au burn-out justifie-t-elle que les autres lui ajoutent un traitement inhumain et abject ? D’autant plus qu’elle n’a pas besoin de carottes pour créer et avancer.

La question de la subordination, celle qui, contractuellement, lie une personne à un employeur, n’est qu’un Contrat. Elle n’engage pas à la soumission.

Bien évidemment, il serait si facile de tomber dans le délire interprétatif de la prédisposition masochiste de telle ou telle personne…
Les psys de tout bord ont cette responsabilité, celle de ne pas tout ramener à l’intrapsychique, à l’enfance, au sexuel. Même si ces composantes là doivent être pris en compte et je sais au combien c’est important de le faire, le tableau clinique est un tableau d’impressionniste et de pointillistes. La vue d’ensemble est formée de tout le kaléidoscope de la personne accompagnée et certainement pas de quelques carrés de couleur mondrianesque…
Même si, au fond de moi et pour mon attrait pictural, j’irais bien volontiers vers le minimalisme kleinien (pas de Melanie mais de Yves, celui du blue (IKB)…).

Écrit dans le TGV entre Paris et Arras.